Minéralité et géologie

Une journée avec... Georges Truc

Le goût du terroir
Le goût du terroir

Extraits de l’article paru dans le numéro 117 et dans notre cahier technique

Georges Truc, « œno-géologue », était doublement prédestiné. Par l’étymologie d’abord : son nom, couramment décliné en italien en Truco ou Trucchi, provient d’une vieille racine celte de toponymes désignant les gros cailloux et les rochers. Par sa naissance aussi, en 1942 : son père exerçait à Visan, au cœur des Côtes-du-Rhône sud, le métier de vinificateur à façon pour les viticulteurs voisins. Tout petit déjà, le jeune Georges était donc fourré à la cave : « Je me suis formé au goût du vin très jeune, c’est capital. J’ai dégusté dès l’âge de dix ans », se souvient-il, avant d’ajouter, riant sous cape : « mais je recrachais ! ». À l’époque, le côtes-du-rhône n’étant guère prisé que sous la forme du fameux “ballon de côtes” de comptoir, son père le dissuada de lui succéder dans « ce métier de fou ». Il devint alors géologue, enseignant pendant quarante ans à l’université de Lyon 1, spécialiste de l’étude de l’altération des roches et d’hydrologie : « Connaître l’interaction roche mère-microflore-eau est indispensable pour comprendre les terroirs ». Au terme d’une carrière universitaire bien remplie, il est tout naturellement retourné dans ses terres visanaises et se consacre à l’étude des terroirs du sud des Côtes-duRhône. Savant mais jamais docte, savourant cailloux et vins avec autant de gourmandise, il est encensé par les vignerons désireux de mieux comprendre leurs sols et d’en mieux parler. Avec sa silhouette de professeur Retournesol, marteau de géologue à la main, et son verbe délicatement chantant, parfois lyrique, il se fait l’interprète des terroirs de manière éloquente. Après avoir profité de son savoir par trois fois – pour des articles sur Sablet et Séguret (R&B no 105), sur Gigondas (R&B no 109) et, tout récemment, sur le Massif d’Uchaux (R&B no 116) –, nous avons souhaité partager sa science, toujours modeste.

R&B : Pouvez-vous préciser ce que vous entendez quand vous vous déclarez « œno-géologue » ?

C’est un néologisme entièrement inventé par votre serviteur… J’ai quelquefois honte d’avoir effectué cette démarche prétentieuse. De façon originelle, c’est tout d’abord un géologue – né dans une cave et tombé dans le vin quand il était petit – qui consacre ses connaissances à comprendre les relations intimes entre le sous-sol, la vigne et le vin et qui, pour ce faire, doit posséder un minimum de connaissances relativement à la vigne et au vin. Un lien très fort, profondément enraciné dans la mythologie grecque.

R&B Quelle est votre définition du “terroir” ?

C’est un ensemble de paramètres : le sol, le sous-sol, la roche mère, le climat, les microclimats, l’ensoleillement, le drainage… Tous ces paramètres physiques constituent la notion de terroir. Aujourd’hui des gens comme David Cobbold – ou d’autres qui le suivent –, nient cette notion de terroir en disant : « Il est impossible de sentir le goût de l’élément chimique dans le vin ». Ils sont complètement à côté de la plaque ! Bien sûr qu’on ne va pas sentir le potassium, le calcium ou le magnésium dans le vin ! Mais ils n’ont pas compris que l’ensemble de ces paramètres s’associent pour créer ce “quelque chose” qui est le terroir et qui va conditionner la physiologie de la plante. Elle va lui permettre d’élaborer un certain nombre de molécules, en particulier la trame tannique, qui vont se distinguer d’un lieu à l’autre parce que ces paramètres vont varier. Les sceptiques disent aussi : « Une fois l’assemblage réalisé, comment reconnaître le terroir ? ». Bien entendu, si on assemble des grenaches de tel secteur, des syrahs de tel autre, des mourvèdres d’un troisième, l’effet terroir sera gommé. Mais nous faisons régulièrement des exercices dans les syndicats à partir de vins “purs” provenant de deux ou trois parcelles situées dans des conditions homogènes sur des substrats donnés avec des expositions données qu’on compare. Et les résultats sont édifiants. On le fait par exemple à Tavel, – et pourtant le rosé est un produit qui subit les effets d’une certaine technologie. Eh bien ! Les trois tavels : cailloutis, calcaire, sable, se distinguent chaque année. On fait le même test au moment du « Printemps de Châteauneuf-du-Pape » avec un public de journalistes et de spécialistes : vins sur les calcaires occidentaux (La Gardine ouest, lieu-dit Beaurenard, ouest Mont-Redon), vins sur les belles terrasses emblématiques à galets de quartzite (plateaux du Mont-Redon, de la Crau) et vins sur sable (Rayas, La Solitude, Font du Loup, Clos du Caillou)2. Étranges différences, identifiées sur du pur grenache avant tout assemblage et tout élevage. Sur calcaire, structure tannique serrée, un peu sévère  ; sur galets, velours et puissance ; sur sable, élégance et finesse… Il y a même eu une expérience très amusante, conduite sous l’égide de Pascal Bouchet, professeur de sommellerie au lycée hôtelier de Tain-l’Hermitage, auprès de ses élèves, avec des vins de la vallée du Rhône septentrionale. Trois grandes familles de matériaux y sont disponibles pour accueillir la vigne : les roches éruptives et métamorphiques, les galets des terrasses et les lœss du Quaternaire. Les premières se débitent en fragments aux arêtes vives, leur toucher est rugueux, voire coupant ; les galets se caressent, leur surface est lisse comme du velours ; les sables fins (lœss) coulent entre les doigts, sans offrir de résistance. Les vins obtenus sur granites et roches métamorphiques possèdent des structures tanniques souvent assez dures, charpentées, austères, qui réclament de l’élevage sous bois. Les vins sur terrasses à galets sont veloutés et séduisants. Les vins sur lœss et sables fins sont dominés par l’élégance, la finesse. Or les élèves ont associé le toucher des matériaux – ils les avaient tous à leur disposition – aux vins dégustés à l’aveugle et dans un ordre quelconque : 90 % de bonnes associations.

Retrouvez l'intégralité de l'article dans notre numéro 117 ou dans notre cahier technique

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