La revue

La revue

N° 153
17 €
13 €

L'AOP Bugey boit rouge

AOP Cour-Cheverny, la rédemption du romorantin

L'AOP Bugey boit rouge

Côtes de Meuse et Côtes de Toul : En repassant par la Lorraine

À la rencontre d'Alain Moueix

Journal des vignes : une question de taille

Dossier : Le retour de la polyculture 

Coups de pouce 

  • Château Terre Fauve (Fronton)
  • La Vinoterie (Anjou)
  • Domaine Combrillac (Bergerac)
52 pages
Lire un extrait
Extrait de la revue

Vous avez dit :  prix “abordables” ? 

La goutte qui a fait déborder la bouteille du R&B a été la réception par l’un d’entre nous d’un message promotionnel sur son téléphone. Un caviste y annonçait la mise en vente par ses soins de : « bourgognes signés “X” (remplacer par le nom d’un grand vigneron bourguignon), à des prix… presque abordables. » Presque abordables ???  Vous avez bien lu : « presque abordables » !!! Comment mieux signifier que certains vins ne le sont plus du tout, même pour des amateurs passionnés ? Comment mieux traduire la résignation devant la disparition progressive du vin de la vie de Monsieur et Madame Tout-le-monde ? 

Car tous les lecteurs du R&B le savent : ces dernières années le prix des vins qu’ils boivent et aimeraient pouvoir continuer à boire s’est envolé. Les beaujolais et côtes-du-rhône achetés 12 € au tournant du siècle tangentent, voire dépassent désormais les 30 € ; les bourgognes à 30 € sont passés à 60 € et plus, sans oublier les champagnes dont la bulle n’en finit plus de gonfler au-dessus des 40 € ; quant aux grands crus, ils ont bondi de quelques – grosses - dizaines d’euros à quelques centaines. Et on n’ose même plus évoquer l’envolée du prix du vin au restaurant, dont nous avons déjà dénoncé les dérives (R&B n°144). 

Bien sûr, ces hausses englobent l’inflation. Mais si l’on en croit le calculateur de l’Insee, en vingt-cinq ans cette inflation, entre les années 2000 et 2024, n’a pas dépassé les 50 % (49,7 % pour être précis). C’est-à-dire que, toutes choses égales par ailleurs, le petit beaujo à 12 € de l’an 2000 n’en vaudrait aujourd’hui “que” 18, le bourgogne à 30 € en vaudrait 45, et le grand cru 50 % de plus “seulement” que son prix de l’an 2000.  

Loin de nous l’idée de reprocher aux vignerons de vouloir gagner, et de bien gagner, leur vie. Le travail à accomplir et les vicissitudes climatiques méritent salaire. Les hausses du foncier pèsent leur poids. La spéculation sur les produits de luxe fait le reste. Mais comment ne pas mettre en rapport cette hausse sans limite d’une part, et l’effondrement des ventes des vins “abordables” d’autre part, même si le prix n’est pas la cause unique de ce désamour ? Selon FranceAgriMer, les volumes de vin vendus en supermarchés ont chuté de 26 % entre 2010 et 2022. En une seule année, de 2021 à 2022, le volume des vins d’AOP vendu en grande distribution a baissé de 7 %. Les cavistes de centre-ville ne font pas mieux : d’après la Fédération des cavistes indépendants (FCI), leurs ventes de vin enregistrent une baisse de 20 % début 2024 par rapport à 2022. L’effondrement est annoncé. 

Pire, un tel renchérissement exclut quasiment toute envie “d’apprentissage” de la culture du vin par les jeunes. Déjà peu portés sur le breuvage (en 2023, 39 % des 18-34 ans déclaraient ne pas en boire), ils ont de moins en moins les moyens de le découvrir. Aujourd’hui près de la moitié des buveurs de vins a plus de 55 ans. Et demain ?  

Il n’est bien sûr pas question ici de demander aux vignerons de baisser leurs prix, mais simplement de prendre en compte ces facteurs au moment de réviser leurs tarifs. Par exemple en pensant à garder quelques entrées de gamme véritablement “abordables”. Sinon, la récession des ventes et le rétrécissement du vignoble ne sont pas près de cesser. 

Un petit espoir demeure cependant pour le véritable amateur de “bon” vin, celui qui aimerait en boire plus souvent : il semblerait que la bulle spéculative, chère aux chasseurs de vins-licornes ou aux collectionneurs d’étiquettes, soit sur le point de se dégonfler. À en croire le site Wine Decider, la valeur d’une caisse de douze bouteilles du Domaine de la Romanée-Conti (réparties sur six cuvées) aurait baissé de 11,7 %   en un an, et celle des grands bordeaux de 7,6 %... Par ailleurs, la campagne des primeurs bordelais 2023 accuse de sérieuses baisses et la Maison beaunoise Joseph Drouhin a réduit ses prix de 15 % (2022 par rapport à 2021).  Les vins que nous aimons redeviendront-ils un jour “presque abordables”, voire tout à fait raisonnables comme ceux de la quasi-totalité des vins présentés dans ce numéro dans les appellations Bugey, Côtes de Toul, Côtes de Meuse et Cour-Cheverny ? 

LeRouge&leBlanc