Ne m’appelez plus jamais “vin”
Après un mois de propagande du “dry january” (janvier sec), voici venu le temps du merveilleux vin sans alcool, ou plutôt du “vin désalcoolisé” pour reprendre le nom officiel que l’Europe réglementaire lui a trouvé. Les tartuffes sont au pouvoir, qui essayent de nous faire croire que le “vin désalcoolisé” est du vin vrai de vrai, mais sans la gueule de bois du lendemain. Comme si un “steak” de soja avait le même goût qu’une côte de bœuf, le cholestérol en moins…
Comment un produit issu d’une histoire vieille de 8000 ans, qui a accompagné le développement de l’humanité, qui s’est répandu dans notre pays grâce aux Grecs et aux Romains, qui est intimement lié à tout ce qui constitue notre culture, à commencer par la religion dominante de la civilisation judéo-chrétienne, et bien entendu à la gastronomie, peut-il être réduit à un “produit alcoolique nocif et sans vertu” ? Bref : réduit à l’alcool qu’il contient, alors que paradoxalement le “vin désalcoolisé”, en utilisant le mot “vin” semble vouloir se parer de toutes les vertus spirituelles du breuvage initial comme autant d’arguments de vente.
Le plaisir du vin est fait de ses infinies nuances de saveurs, selon les régions, les lieux-dits, les années, les cépages. Mais également parce que c’est un produit qui résiste au temps, en évoluant tout en restant le même. Osons dire aussi qu’il procure parfois une douce ivresse qui n’a rien à voir avec l’horrible cuite, et qui nourrit les échanges, la convivialité, les émotions.
Malgré tout, dans un contexte particulièrement difficile de consommation en baisse chronique, le vin est de plus en plus attaqué en France par le groupe de pression hygiéniste dont les représentants les plus extrémistes comme l’ANPAA (Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie) rêvent d’un monde parfait, sans une goutte d’alcool ni de vin… Comme si consommer du vin relevait obligatoirement de l’ivrognerie.
Il faut se battre pour que le mot “vin” ne soit plus utilisé pour désigner cette boisson largement transformée. L’élaboration de ce breuvage nécessite d’abord une lourde opération : la désalcoolisation, que ce soit par distillation sous vide à basse température, osmose inverse ou filtration à cônes rotatifs. Des procédés chers, lourds et gourmands en énergie et en eau… Quel est l’intérêt de laisser fermenter un moût pour ensuite retirer l’alcool et les parfums, puis réintroduire les arômes, du gaz, des conservateurs ?
Derrière cette volonté de récupérer le mot “vin” pour un produit qui n’est en rien lié à une culture millénaire, mais à une production industrielle, il ne faut pas être naïf : des entreprises rêvent d’un nouveau marché à conquérir derrière un alibi médical. Une fois de plus, l’Europe et sa Cour de justice ne cessent de pousser le libéralisme économique au détriment des traditions identitaires. Cette dernière vient d’ailleurs d’obliger la France (qui ne le voulait pas) à autoriser l’utilisation de mots liés à la viande (saucisse, lardon, steak…) pour de la “fausse” viande d’origine végétale. Les industriels se frottent les mains…
Que des “jus de raisins fermentés désalcoolisés” puissent avoir un certain succès n’est en rien un problème. Mais de grâce n’appelons plus jamais cela “vin”.
LE ROUGE & LE BLANC