Vinification
Le monde mystérieux des levures
Extraits de l’article paru dans le numéro 155
Le sujet est sensible. Les défenseurs des “vins de terroir” en font un principe : une cuvée digne de ce nom ne peut être vinifiée qu’en levures indigènes, c’est-à-dire pré sentes de façon naturelle sur les baies des raisins, mais également dans le chai. Ce principe doit-il rester intangible ? Laisser se dérouler une fermentation spontanée ne génère-t-il pas certains risques de dé viances graves, surtout dans un contexte de réchauffement climatique et de de fer mentations qui se compliquent ? S’ajoute à ces problématiques l’inévitable question du soufre, sans doute excellent antisep tique, mais véritable “tueur” de levures… Pour tenter d’y voir plus clair, nous avons longuement échangé avec un spécialiste de ces questions, Vincent Renouf du labora toire Excell.
Ce laboratoire comprend aujourd’hui trois entités : à Bordeaux, à Cognac et en Espagne à Logroño, dans la Rioja. Excell emploie soixante-six collaborateurs uni quement dédiés à l’analyse des vins et des boissons. Ils travaillent sur plus d’un de mi-million d’échantillons de vin chaque année. Leurs clients comptent aussi bien des vignerons conventionnels que des “bio” et même des domaines travaillant à de très faibles doses de soufre. Vincent Renouf, d’origine normande, n’avait a priori aucune prédisposition pour travailler dans l’univers du vin. Ses études d’ingénieur (à l’Institut National des Sciences Appliquées de Toulouse) ont fait naître en lui une véritable passion pour la microbiologie qu’il a préféré raccorder à l’agroalimentaire plutôt qu’à d’autres voies de la discipline (industrielle ou médicale). Par hasard, des dégustations de vins splen dides, des rencontres essentielles et la dé couverte de certains vignobles l’ont conduit à s’orienter vers l’œnologie. Il a commen cé par soutenir une thèse doctorante pour le Club des 9, l’association des neuf pre miers grands crus de Bordeaux. Une op portunité qu’il a appréciée à sa juste valeur : « J’ai eu la chance d’être accompagné par des œnologues ou des vinificateurs exception nels et passionnés comme Jean-Claude Berrouet (Petrus), Alain Vauthier (Ausone), Jean-Philippe Masclef (Haut-Brion), Vincent Millet (Calon-Ségur) et d’être en cadré par une professeure qui était à la fois docteure en sciences et œnologue (Aline Lonvaud-Funel). Puis d’autres rencontres déterminantes m’ont conduit à m’investir pleinement dans la construction du labora toire Excell dont je suis un des associés. »
R&B Faisons simple : qu’est-ce qu’une levure ?
Une levure, c’est un être vivant qu’on classe dans les micro-or ganismes. Ce terme regroupe tous les organismes qu’on ne peut pas voir à l’œil nu et qui ont pu être mis en évidence à partir du moment où on a découvert le microscope. Les levures en font partie, comme les bacté ries, comme certaines moisissures, comme cer taines algues. Les levures qui nous intéressent le plus sont celles qui réa lisent la fermentation alcoolique : les Saccha romyces cerevisiae.
Elles utilisent les sucres, glucose et fruc tose, pour produire de l’éthanol. Initialement, elles vont se multiplier. Lors des premières étapes, l’encuvage, le foulage de raisins, tout ce qui va être manipulation, les levures sont mises en contact avec de l’oxygène.
Donc elles respirent, elles se multiplient. Ensuite, dans le jus des raisins, très riche en sucre, les Saccharomyces cerevisiae ne vont plus pouvoir respirer. Elles vont pas ser en mode fermentation. La fermentation, c’est « la vie sans l’air », comme disait Pas teur. La levure accède à de l’énergie en transformant les sucres en éthanol. C’est la fermentation alcoolique, l’événement central de la vinification.