Portraits
ENTRETIEN AVEC REGIS DESCOTES
Brève histoire des Coteaux du Lyonnais
R&B Quelle est la situation géographique des Coteaux du Lyonnais ?
L’aire géographique des Coteaux du Lyonnais n’a pas changé depuis 2000 ans ! Historiquement, la ville de Lyon est créée en 46 avant J.-C. par les Romains sous le nom de Lugdunum, dans le prolongement du port de Vienne qui est le dernier comptoir marchand au nord du bassin de la Narbonnaise. Lorsque les Romains construisent Lugdunum, c’est pour conquérir le reste de la Gaule ; Lyon, aujourd’hui capitale des Gaules, en devient la tête de pont.
À la confluence de la Saône et du Rhône, se dessine alors cette région dont, malgré toutes les péripéties, les contours n’ont pas changé. En fait elle se situe sur la rive droite de la Saône, dans sa partie nord, et du Rhône, au sud. Au nord, se trouvent deux massifs, celui des monts d’Or et celui de la Brévenne. Au nord de la Brévenne, c’est la vallée d’Azergues, et au nord des monts d’Or, c’est la plaine des Chères. Pour moi, plaine des Chères et vallée d’Azergues correspondent déjà au pays beaujolais qui constitue la porte sud de la Bourgogne. Au sud, le Lyonnais est délimité par la vallée de Giers, au-delà de laquelle se trouve le Pilat rhodanien, et on pense alors tout naturellement aux vignobles de Condrieu, Côte-Rôtie, Saint-Joseph… À l’est, ce sont les vignobles du Bugey et de la Savoie, regroupés sous le nom des Allobroges. Et à l’ouest, les monts du Lyonnais forment une autre frontière géographique. Les Coteaux du Lyonnais culminent à 500 m. Au-delà des monts du Lyonnais, à l’ouest on redescend sur la vallée de la Loire, la plaine du Forez avec ses vignobles ligériens du Roannais, du Forez et juste après les Côtes d’Auvergne. En fait, le Lyonnais se trouve à la croisée de tous les grands vignobles régionaux. Lyon est vraiment un carrefour, mais comme souvent dans les carrefours, tout le monde y passe et personne ne vous voit, c’est pour cette raison que l’on est parfaitement invisible dans la carte viticole.
Non loin d’ici, à Saint-Laurent d’Agny, au lieu-dit Goiffieux, les musées antiques du Rhône ont conduit une campagne de fouilles de 2008 à 2012 qui a mis en évidence une activité viticole deux fois millénaires : une villa antique gallo-romaine était le siège d’une très importante exploitation viticole. Aux dires des archéologues, ce site est le 2e plus important en France après celui de Donzères.
R&B Sait-on quels cépages étaient cultivés à cette époque ?
Les Romains ont apporté leur technologie à nos ancêtres les Gaulois. Ainsi, ils faisaient bouillir du moût de raisin non fermenté pour faire le defrutum, dans lequel ils ajoutaient des plantes avant de l’utiliser pour chaptaliser et conserver les vins. Sur ce site les plantations étaient effectuées en fosses avec des systèmes de treille. Mais le Vitis Vinifera de l’époque est l’allobrogica antique, en fait une proto-mondeuse qui serait la mère de tous les cépages notamment rhodaniens. On sait que la mère de la syrah est la mondeuse blanche du Dauphiné et que son père est la dureza ardéchoise. Cet allobrogica antique a peuplé toute la vallée du Rhône nord. On peut donc penser, sans preuve formelle malheureusement, que les vignes cultivées en Lyonnais étaient similaires aux vignes de Condrieu, Côte-Rôtie et, sur la rive gauche du Rhône, au vignoble de Seyssuel. D’ailleurs, Pline l’Ancien et Plutarque font l’éloge des vins de l’arrière-pays viennois, qui étaient exportés à Rome au départ du port de Vienne, ce qui posera un problème puisque l’empereur Domitien au 2e siècle fera arracher par décret la moitié des vignes de la Gaule pour éviter la concurrence avec les vins romains … Cela me fait rigoler quand j’entends aujourd’hui parler des méfaits de la mondialisation. Elle a toujours existé, sauf qu’à l’époque, ils avaient des moyens plus radicaux de trouver des terrains d’entente.
Dans un atlas du 17e siècle, on cite les vignobles appartenant au groupe des Lyonnais dans lequel sont inclus ceux de Condrieu et de Côte Rôtie. À l’époque, le vignoble du Lyonnais est un des plus importants vignobles régionaux : il couvre plus de 12 000 ha, ce qui correspond à une fois et demie l’aire d’appellation des Coteaux du Lyonnais - 7340 ha - en 1984. Aux portes de Lyon, la vigne est alors omniprésente dans le paysage du Lyonnais.
R&B Pour quelle raison ce vignoble lyonnais est-il devenu si important ?
Entre le 16e et le 19e siècles, le vignoble se développe. Comme dans toutes les grandes régions viticoles, c’est grâce à la présence d’ordres religieux puissants. Les moines, outre le vin pour le culte, en font un commerce très lucratif. À Millery se trouvent les Célestins, à Taluyers les Prieurs, à Savigny les Bénédictins, sans oublier l’abbaye de Saint Just à Lyon. Cette période faste couvrira plus de trois siècles. Ainsi, mon village était chef-lieu de canton et 300 des 900 habitants cultivaient la vigne laquelle totalisait une surface de 450 ha sur les 922 ha de la superficie du village. Ce sera l’apogée avant la crise phylloxérique.
R&B Arrive donc le déclin du vignoble…
Le phylloxéra survient à la fin du 19ème siècle, mais il faut du temps pour en connaître son fonctionnement. Après avoir essayé d’éradiquer le puceron vecteur de la maladie par différentes méthodes, arrive le greffage. Dès 1890, on replante la vigne de façon dynamique. Ainsi, à Millery, en 1912, 100 vignerons cultivaient 300 ha de vignes, mais en 1914 survient la Grande Guerre qui mettra à mal tout le dynamisme viticole, en raison de la disparition des forces vives. D’autres cultures vont remplacer la vigne, en particulier dans le Lyonnais, les femmes vont se lancer dans le maraîchage et l’arboriculture et même dans l’élevage de moutons à Millery.
R&B Quelles ont été les conséquences de ces deux cataclysmes ?
Les traditions viti-vinicoles se perdent avec le phylloxéra à la fin du 19e siècle, la grande guerre venant accentuer cette déprise. En 1984, en obtenant l’appellation le vignoble retrouve ses lettres de noblesse et ses couleurs, mais la plupart des opérateurs de l’époque avaient perdu tous ces savoir-faire et ont dû réapprendre au fil du temps à refaire du vin, à retravailler la vigne pour élaborer de vrais vins de vigneron, alors qu’au début, ils y allaient un peu à tâtons On ne se posait pas de question, on ramassait des gamays avec des rendements certes beaucoup plus élevés qu’aujourd’hui et des degrés de maturité nettement plus faibles.
Le gamay a été choisi au lendemain du phylloxéra au détriment d’autres cépages, notamment nord-rhodaniens parce qu’il est fertile, qu’il produit des raisins avec une belle acidité et des vins toujours fruités. Il fallait que le vin soit une saine boisson, qu’il puisse se conserver et être transporté. Mais, en 1984, les vins du Lyonnais, du Beaujolais et tous les vins « glou-glou » étaient cloués au pilori parce que dans l’inconscient collectif, ils étaient assimilés à une simple boisson acidulée et alcoolisée. Il aurait fallu à l’époque enregistrer les critiques formulées à l’encontre des vins que mes parents et grands-parents faisaient.
Les coteaux du Lyonnais, comme les beaujolais, étaient considérés comme des petits vins clairets, acidulés pour ne pas dire acides, alors qu’aujourd’hui ces vins sont recherchés. Avec le réchauffement climatique, on rentre des raisins qui sont tout de suite exceptionnellement matures avec des belles richesses phénoliques, des hauts degrés alcooliques et de belles acidités ; les vins d’aujourd’hui sont naturellement riches
Lorsque je m’installe en 1984, année où les Coteaux du Lyonnais accèdent à l’AOC, à la suite de mes parents qui étaient davantage arboriculteurs que viticulteurs, je renoue avec une tradition familiale ancienne qui date du 17e siècle, mais on pourrait même remonter à l’époque gauloise, même si mon patronyme vient de Savoie, royaume situé au-delà de la frontière géographique qu’est le Rhône.
R&B Quand le gamay arrive-t-il dans le Lyonnais ?
Précédemment étaient cultivés mornin noir, syrah, chatus, donc des cépages qui produisaient des vins nourrissants. Le gamay, cépage bourguignon, arrive à Millery en 1811 et remplace nos cépages ancestraux à l’arrivée du phylloxéra. Ainsi, à la fin du 19ème, Franck Ricard, pépiniériste à Beauregard sur la commune voisine de St Genis Laval, greffe 500 000 pieds de vigne dont beaucoup de gamay. Le phylloxéra a donc été le point de bascule de la modification de l’encépagement dans le Lyonnais mais aussi dans la plupart des vignobles français. La mise en place des appellations met un terme au libre choix du vigneron et va « appauvrir » l’encépagement.
R&B Et les blancs ?
On trouve peu de données ampélographiques mais des documents du 18ème siècle, mentionnent des productions de blancs issus probablement de viognier, roussanne, chenin sans doute mondeuse blanche, peut-être chouchillon ; le chardonnay et l’aligoté n’arriveront qu’au début du 20e siècle.
R&B Comment évolue ensuite le vignoble ?
Entre les deux guerres on assiste à l’industrialisation du bassin lyonnais, notamment les usines Berliet, la chimie fine, l’aspirine du Rhône, les fibres synthétiques. La descendance de viticulteurs qui aurait pu reprendre le flambeau va aller s’embaucher dans les usines. Même s’ils restent double actif, il va y avoir une déprise de l’agriculture. Ainsi, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, le vignoble du Lyonnais a pratiquement disparu. Beaucoup de vignes sont aussi plantées d’hybrides.
Il faudra attendre 1948 pour que le vignoble du Lyonnais entame sa reconstruction. La première reconnaissance a lieu en 1952 : la Fédération des Coteaux du Lyonnais obtient le classement en Vin Délimité de Qualité Supérieur (VDQS).
Pour redonner du dynamisme, l’idée de créer une cave coopérative s’impose. Ainsi la cave des vignerons à Sain-Bel voit le jour en 1956. Elle va permettre au vignoble d’exister en termes de volume et de surface, et surtout de fédérer beaucoup de petits viticulteurs qui sont souvent polyculteurs, éleveurs et arboriculteurs. En 1972, ont lieu les premières démarches pour la revendication d’une appellation contrôlée qui se concrétise en 1984 par un décret signé par le ministre de l’agriculture Louis Mermaz, sénateur -maire de …Vienne, clin d’œil historique à nos origines.
Mais il faut rappeler que toutes nos démarches pour arriver à cette reconnaissance ont été appuyées politiquement et techniquement par nos amis du Beaujolais avec lesquels nous partageons le gamay. À noter également la présence d’opérateurs dans le nord du Lyonnais qui étaient aussi vignerons en Beaujolais.
R&B Quels ont été les vignerons pionniers ?
On peut citer Lucien Boulieu, un des premiers à mettre son vin en bouteille en 1974, Pierre Jomard, grand artisan de l’appellation, les familles Julian, Chamard, Decrenisse ainsi que le domaine Le Bouc et la Treille, un des premiers GAEC du Rhône.
Lorsque l’on obtient l’appellation, l’objectif est d’atteindre une surface de vignes de 400 ha ; on a une croissance soutenue pendant 20 ans en partie due à la cave de Sain Bel qui pendant très longtemps a vinifié près de 55 % des volumes de l’appellation. On a failli l’atteindre puisqu’on est monté à 350 ha. Aujourd’hui les Coteaux du Lyonnais couvrent 200 ha, donc à peine plus qu’un cru du Beaujolais, sachant que géographiquement le Lyonnais est aussi vaste que le Beaujolais. Potentiellement l’aire d’AOP est de 7340 ha. On a perdu beaucoup de vignes à cause de l’urbanisation et d’une pression foncière très forte.
R&B Que pouvez-vous dire à propos du climat ?
Le Lyonnais possède une homogénéité climatique et du nord au sud notre territoire est sous une influence méridionale via le couloir rhodanien, alors qu’en Beaujolais le climat devient continental.
R&B Vous êtes malheureusement confrontés aux dérèglements climatiques ?
Hélas oui. C’est la répétition et l’intensité des aléas climatiques qui posent d’énormes problèmes. Par exemple à Millery, il a grêlé en juin 2014, juin 2016, juillet 2017, juillet 2018 et en juin et août 2022. Nous ne sommes pas non plus épargnés par les gelées, notamment en avril 2021. Ne parlons pas des canicules à répétition…
R&B Que dire de la géologie ?
La géologie varie d’un secteur à l’autre. Quatre grands terroirs : dans les monts d’Or, les sols sont argilo-calcaires, un peu comme la Bourgogne voisine. En revanche sur le massif de la Brévenne les roches sont d’origine volcanique, ce qui fait penser à l’Auvergne. En descendant le long de l’arête centrale, on trouve des schistes et des granits. Et au bord du Rhône nous sommes sur un terroir de galets roulés et de moraines glaciaires.
R&B Quels sont les freins à l’expansion de votre appellation ?
Les Coteaux du Lyonnais pourraient être une terre bénie pour des projets d’installations de néo-vignerons, d’autant que le prix d’un hectare de vigne n’excède pas 15 000 euros. Nous avons des demandes d’installation, malheureusement on butte sur l’absence de bâtiments. À Millery, la collectivité met en place une expérience intéressante : la création d’un bâtiment viticole permettant d’accueillir des jeunes ; nous sommes des pionniers et nous montrons la voie.
R&B Quels sont les atouts de votre appellation ?
Énormément de dynamisme et de solidarité. Beaucoup de cohésion également, ce qui est primordial pour un vignoble comme le nôtre dans lequel nous sommes peu nombreux avec peu de moyens. Nous sommes donc condamnés à réussir et nous avons toujours entretenu cette entente intergénérationnelle entre les vignerons.