Portraits
À LA RENCONTRE DU domaine Chandon de Briailles
Un héritage valoriséExtraits de l’article paru dans le numéro 142
Plus sans doute que tous les autres vi gnobles de France, la Bourgogne entretient un lien étroit avec l’Histoire. Par la découpe savante de ses “climats”, œuvre des moines dès l’aube du Moyen Âge, mais aussi par ses domaines familiaux qui ont traversé les siècles, même si, depuis quelques années, leur pérennité est menacée par la hausse vertigineuse du foncier et, en conséquence, par des droits de succession exorbitants. Trois d’entre eux, parmi les plus prestigieux (Clos de Tart, Clos des Lambrays et Bon neau du Martray) ont ainsi été acquis ré cemment par des “barons” du capitalisme mondial (respectivement François Pinault, Bernard Arnaud et Stanley Kroenke).
Par bonheur, une majorité de ces do maines demeurent aux mains des héritiers des familles qui les ont fondés. Parmi eux, le Domaine Chandon de Briailles, acheté en 1834 par Pierre Guillemot (ancêtre du propriétaire actuel, la famille de Nicolaÿ), bâtonnier au tribunal de Dijon, qui possé dait quelques vignes dans la région, en particulier à Savigny-lès-Beaune. À l’époque, le château construit à la fin du XVIIe siècle, qu’il venait d’acheter, ne com prenait pas de vignes, même s’il possédait une jolie cave voûtée encore utilisée au jourd’hui. Pierre Guillemot (dont l’épouse était une Chandon de Briailles, famille qui avait également des intérêts chez Moët, en Champagne) a progressivement acheté des vignes à Savigny, Pernand et Aloxe, consti tuant ainsi en pleine propriété les 14 ha du domaine actuel, quasiment inchangé depuis la fin du XIXe.
Un patrimoine inchangé depuis plus de cent ans
Au fil des successions, le domaine échoit dans les années 1970 aux parents de François de Nicolaÿ qui habitent Paris. Le père, agent immobilier et la mère, “femme au foyer”, ne s’intéressent que de très loin à leur propriété viticole. Celle ci est gérée par un régisseur et la quasi totalité de la production est vendue au négoce beaunois (essentiellement Drouhin et Latour). Au début des années 1980, la famille se pose des questions. Le domaine décline doucement et les Nicolaÿ hésitent à le vendre. L’autre solution est de le reprendre en direct, ce que n’envisage pas, a priori, Aymard-Claude, le père de François. Mais Nadine, sa mère, ne l’entend pas de cette oreille. Bien que la propriété vienne de la famille de son mari, elle ne s’interroge pas bien longtemps et, en 1982, troque son tailleur Chanel et ses escarpins pour un jean et des baskets… Le vignoble beaunois la surnommera d’ail leurs rapidement « la comtesse en baskets ».
Avec François Paquelin, le régisseur de l’époque (qui a pris sa retraite en 1989), Nadine de Nicolaÿ apprend “sur le tas” son nouveau métier de vigneronne, sans fréquenter aucune école ni passer le moindre diplôme. Elle dirige ainsi la pro priété jusqu’en 2001. Dès la première année (1982), elle met la totalité de la production en bouteilles dont la commer cialisation ne sera pas évidente, faute de circuits commerciaux établis. En 1988, elle arrête les désherbants et les traitements systémiques par pure réflexion de bon sens. L’année suivante, les sols sont cultivés au tracteur et, sans idéologie, elle fait douce ment évoluer les pratiques vers le “bio”. Sa fille Claude (diplômée en œnologie) la rejoint à temps partiel en 1991. Elle est toujours aux côtés de son frère aujourd’hui, assurant, entre autres, le suivi œnologique des vins du domaine.
Pendant ce temps, à Paris, François de Nicolaÿ s’intéresse lui aussi au vin mais en tant que marchand de vin et caviste. Il par ticipe à quelques activités de la propriété comme les vendanges, mais il n’est pas impliqué dans sa gestion. En 2001, il reçoit un appel de sa mère qui, très fatiguée par la lourdeur de ses tâches, jette l’éponge et propose à son fils de venir prendre sa suite. François n’hésite pas et vient s’installer à Savigny avec femme et enfants. Même s’il trouve un domaine “en forme”, François de Nicolaÿ a très vite l’idée de le faire progresser en respectant les équilibres naturels.