Vignobles de France

Avize, l'unité dans la diversité

Cet article a été originellement publié à l'automne 2015 dans le R&B n°118
Eglise et coteaux d'Avize
Cet article a été originellement publié à l'automne 2015 dans le R&B n°118
Champagne > Côte des blancs > Avize

Village Grand Cru emblématique de la Côte des Blancs, Avize – déjà approché à travers les portraits d’Anselme Selosse (R&B n°80) et de Pascal Agrapart (R&B n°105) –, produit des vins complets empreints de minéralité. Des champagnes de caractère, une signature de terroir qu’il fallait aller vérifier et approfondir sur place auprès de divers acteurs de l’appellation, médiatisés ou moins connus.

Pourquoi les vins d’Avize présentent-ils souvent un surplus de salinité, d’acidité noble par rapport aux vins des villages voisins ? Telle est une de nos interrogations majeures, que ce soit en champagnes ou en vins clairs. Est-ce un effet du terroir, une conséquence du choix du matériel végétal, un résultat des pratiques culturales et des modes de vinification et élaboration du champagne ?

Avize et les autres…

Au plan purement géologique, il n’y a pas de différences fondamentales entre les terroirs d’Avize et ceux de Cramant, au nord, ou d’Oger, au sud. Les limites des communes datent de la Révolution française et relèvent d’un certain arbitraire. En arrivant du nord par la D9, c’est un chemin datant de la Révolution, concrétisé par une grosse pierre, qui marque la frontière avec Avize, les noms cadastraux des parcelles voisines étant parfois identiques. Toujours au nord mais plus à l’est, la zone des Chemins de Châlons court sur Cramant, Avize et également Oiry. Au sud, le chemin du Bois sépare Avize d’Oger mais l’ensemble des parcelles nommées Pierres Vaudons s’étend sur ces deux communes sans véritables changements de sols. Toutes les vignes des Grands Crus de la Côte des Blancs reposent sur de la craie du Campanien (environ 80 millions d’années av. J.-C.) constituée de squelettes calcaires de milliards d’algues microscopiques non cimentées. Ce matériau tendre, poreux avec 40 % de vide, friable et fragmentable, absorbe et restitue l’eau, assurant ainsi une alimentation régulière de la vigne que l’homme a contribué à améliorer par le drainage, notamment dans la partie nord d’Avize. Il s’avère que les sols avizois ressuient rapidement, évitant ainsi que la vigne ait « les pieds dans l’eau ».

Avize au sein de la Côte des blancs

Spécificités et terroirs

Le phénomène de solifluxion – forme accélérée de descente de masse de matériaux apparaissant sous l'effet des cycles gel/dégel – est plus fréquent à Avize que dans les communes voisines ; des langues, des couches se sont progressivement créées où les radicelles pénètrent et absorbent mieux les minéraux grâce aux failles d’affaissement de la craie, à condition cependant que les sols soient vivants. Ce phénomène pourrait contribuer à favoriser l’expression du terroir, sa complexité, en association avec une sensation de minéralité ou de salinité.

Certains pensent que la plupart des terroirs de la commune se valent et que la différence provient surtout du travail des hommes – choix culturaux et de matériel végétal, porte-greffe et greffons. D’autres prétendent qu’il existe un cœur historique, qui se situerait au niveau du village depuis la partie basse du Clos Jaquin sur le coteau ouest, puis vers l’est avec les Champs, les Avats, une partie des Maladries (ou Maladrerie), la Fosse et le chemin de Flavigny…, ce qui ne signifie nullement que les autres terroirs déméritent. Notons également la présence d’un “couloir” d’oïdium, principalement sur les parcelles en hauteur, qui peut se propager si les traitements ne sont pas adéquats.

Il apparaît qu’en haut de coteau, où la terre est compacte et la craie affleurante, le vin peut être sec, tendu, sévère et ce d’autant plus lorsqu’un bois surplombe les vignes. En bas de coteau, avec des graviers de craie (“graveluches”) et un peu d’argiles, les vins sont plus souples, plus faciles, bien que le gel soit plus fréquent. On peut donc imaginer une analogie avec le contraste entre les vins de Cramant, assez tendus, situés sur un haut de coteau, et ceux d’Oger, plus larges, situés plus bas… Et c’est en pied de coteau que la salinité et la minéralité s’exprimeraient le mieux. Ces constats ne sont pas spécifiques à Avize, car les mêmes observations pourraient s’appliquent ailleurs, notamment en Bourgogne avec Premiers Crus en haut, Villages en bas et Grands Crus en pied/milieu de coteau.

Le travail des sols et la culture biologique ou biodynamique

En arpentant les différents secteurs viticoles d’Avize, on constate qu’assez peu des sols sont travaillés ou enherbés. Est-ce dû à une absence de prise de conscience, à une forme de paresse, comme si les vignes d’une commune Grand Cru réputé pouvaient s’affranchir des bonnes pratiques ?

Beaucoup de sols sont encore désherbés chimiquement – notamment ceux des vendeurs exclusifs de raisin au kilo – ou recouverts d’écorces, ce qui évite de désherber mais pourrait polluer. Toutefois, la plupart des domaines envisagent à plus ou moins court terme l’arrêt des désherbants, évolution de la législation oblige. Seules les parcelles des domaines de Pascal Agrapart, Anselme Selosse et Erick de Sousa sont travaillées depuis longtemps, les trois domaines étant certifiés ou pratiquant une viticulture “propre” d’inspiration biologique et/ou biodynamique. L’importance du travail des sols – du « charrutage » pour prendre une expression imagée – est bien perçue par les domaines familiaux depuis le début des années 2010, mais également par lesgrandes maisons de Champagne de Reims ou d’Épernay, telles Taittinger ou surtout Roederer qui fait travailler certaines parcelles au cheval dans une démarche d’agriculture biodynamique.

Cependant, beaucoup restent circonspects sur les produits et méthodes de traitements de l’agriculture biologique, d’autant que ces dernières sont plus gourmandes en main-d’œuvre que les pratiques conventionnelles. Pour citer le discours de nombre de vignerons conventionnels, la « bio » coûte plus cher et ferait baisser les rendements sans garantie d’une qualité accrue et en dégradant le bilan carbone dû à de passages d’engins agricoles plus nombreux. Certes la bio peut coûter plus cher – plus de présence humaine à la vigne pour observer et travailler –, légèrement dégrader le bilan carbone si les traitements font appel à des engins lourds, mais la préservation de l’intégrité des hommes a-t-elle vraiment un prix ? Par ailleurs, la bio – au sens large – semble être un facteur d’amélioration qualitative, comme le montrent les résultats de notre dégustation collective…

Avize en bref...

  • 270 ha de chardonnay sur les 5 610 ha (82 % chardonnay, 9 % pinot noir et 9 % pinot meunier) de la Côte des Blancs.
  • Environ 40 producteurs impliqués à différents titres :

              - commercialisant intégralement leur production,

              - vendant totalement ou partiellement au négoce,

              - adhérents de caves coopératives.

 

  • De nombreux domaines vendent encore des raisins au kilo tout en mettant en bouteille.
  • Des domaines domiciliés à Avize ne possèdent pas toujours beaucoup de vignes sur la commune.
  • Prix de l’hectare doublé en 10 ans, avoisinant parfois les 2 millions d’euros.
  • Parc de vignes assez âgé, en sélection massale, une part non négligeable de porte-greffe 41B.
  • Recherche de plus en plus fréquente de bonne maturité des raisins – entre 10,5 et 11° –, sans chaptalisation.

DOMAINES ET STYLES

La sélection des domaines visités est issue de la dégustation collective et anonyme.

Les grandes maisons de Champagne sont absentes de cette dégustation : elles possèdent pour beaucoup des vignes à Avize, mais ne commercialisent pas de cuvée “pur Avize” et intègrent les raisins de cette commune dans des cuvées dites de “Prestige” ou “Blanc de Blancs” dont la composition est peu connue.

 

Tout d’abord, deux domaines vraiment qualitatifs – même si la maison Jacquesson n’a pas encore pris le virage de la culture bio – mais marginaux, leur production sur Avize restant confidentielle, voire aléatoire.

La parcelle de Champ Caïn de la maison Jacquesson Yaïr Tabor

Champagne Jacquesson, Champ Caïn

La petite parcelle de Champ Caïn (1,20 ha) située à l’est de la commune d’Avize et près de Oiry – donc excentrée par rapport au cœur historique de ce Grand Cru – fait l’objet d’une commercialisation spécifique depuis le millésime 2002. Dorénavant, les cuvées « 700 » intègrent les raisins de la totalité des vignes d’Avize à l’exception de ceux de Champ Caïn quand cette cuvée est produite, ce qui n’est le cas qu’en bonne année.

Les vignes, principalement plantées en 1962 sur porte-greffe 41B, produisent un vin individualisé à l’image des autres “micro-cuvées” de la maison Jacquesson, basée à Dizy. Sur un sol argilo-sableux et caillouteux en surface, les racines pénètrent la craie sise à environ 40 cm de profondeur. Les sols sont travaillés à la charrue et à l’interceps sous le rang – pas de désherbage chimique –, sans que soit envisagée pour l’instant la traction animale. Ici, les traitements ne sont pas bio, même si le début de campagne privilégie l’utilisation de tels produits jusqu’à la fleur. Ensuite, usage de traitements pénétrants contre l’oïdium parfois virulent dans ce secteur. Les traitements anti-pourriture ont été arrêtés depuis longtemps, la taille Chablis, aérée avec 3 charpentes au maximum pour un objectif de 12 bourgeons par pied, y contribuant fortement et la production annuelle oscille entre 10 000 et 12 000 kg/ha.

Les vendanges – selon l’état sanitaire des raisins et de la dégustation des baies – vise une bonne maturité, 11° naturels, pour éviter la chaptalisation. Elles ne durent qu’une journée et les raisins sont pressés à Avize dans un pressoir vertical de 4 000 kg avant d’être transportés à Dizy pour la suite des opérations. Seules les cuvées et les trois premières presses sont conservées, les tailles étant revendues. La fermentation alcoolique est initialisée par des “levures sèches actives” et la fermentation malolactique – nécessaire dans la plupart des cas – est réalisée sur la base d’un « pied de foudre », ces deux opérations étant conduites sous bois. S’ensuit un élevage sur lies avec des bâtonnages réguliers dans un milieu frais. Les vins sont tirés tardivement (octobre/novembre de l’année suivante) sans ajout de SO2 ni filtration. Ils reposent ensuite 8 ans sur lattes avant d’être dégorgés, ajustés à 10 mg/l de SO2 et légèrement dosés. Rigueur et sérieux caractérisent cette maison !

Pierre Larmandier dans ses vignes Yaïr Tabor

Champagne Larmandier-Bernier, Les Chemins d’Avize

Ce domaine bien connu de Cramant, d’une quinzaine d’ha, en biodynamie depuis plus de 20 ans, commercialise depuis le millésime 2009 une cuvée à 100 % raisins d’Avize. Les deux parcelles concernées sont situées au centre est de la commune sur les secteurs des Terres de Maladrie, des Chemins de Flavigny et des Chemins de Plivot. Les raisins étaient préalablement incorporés dans la cuvée d’assemblage, mais les propriétaires ont décidé d’enrichir la gamme des champagnes mono-crus pour le millésime 2009, l’acquisition d’un petit pressoir ayant facilité cette évolution. Deux parcelles de 45 et 25 ares– sélections massales de 1961 et 1955 sur porte-greffe 41B – aux sols assez maigres qui produisent peu et doivent être amendés. Reprises en 1992 après une longue période chimique, initialement prévues pour être arrachées – 25 % de manquants –, ces vignes ont été conservées pour leur beau potentiel : aujourd’hui le travail des sols, buttage léger, est satisfaisant, après une période complexe de réglage des instruments de coupe. Les tailles sont incorporées à la cuvée et un foudre de 20 hl ainsi que des fûts sont employés. Comme toujours dans ce domaine, les fermentations alcooliques et malolactiques sont naturelles, c’est-à-dire avec les seules levures et bactéries indigènes. Cette cuvée très peu dosée combine matière et complexité avec cependant moins de tension que dans le millésime 2010 entrevu récemment…

Pascal Agrapart dans ses vignes Yaïr Tabor

Le trio de tête de nos dégustations, avec des pratiques culturales reconnues et une viticulture “propre”.

 

Champagne Agrapart

Depuis 2012 (cf. R&B no 105), de la nouveauté au domaine. Sans doute l’arrivée à plus ou moins long terme d’un des fils Agrapart, qui suit actuellement un DNO à la faculté d’œnologie de Dijon, l’autre fils cherchant encore sa voie, va-t-elle conforter ou rassurer Pascal sur le devenir du domaine. Dans la même optique de consolidation, notons l’acquisition de nouvelles micro-parcelles sur Avize (4), Oger, Cramant et Oiry, portant ainsi la surface du domaine à près de 12 ha, et également le développement, l’extension de la cuvée Vénus à 60 ares, travaillées au cheval par un prestataire depuis la disparition de la jument Vénus. Bien que provenant de communes classées Grand Cru, les jus issus des nouvelles parcelles reprises n’intégreront pas immédiatement les têtes de cuvées mais, dans l’attente, la cuvée 7 Crus : le vigneron ne souhaite pas étendre sa gamme. Par ailleurs, une amélioration des équipements avec un nouveau chai à barriques climatisé et des cuves Inox compartimentées apportent plus de confort au quotidien. La conception du travail n’a pas changé, avec, entre autres, observation de la vigne et du sol, labourage et compostage (si besoin), traitements à base de soufre et de cuivre, recherche de la juste maturité des raisins, vinification peu interventionniste, essais divers de dosage…
La cuvée Avizoise provient toujours des parcelles Voies d’Épernay et les Robards situées au nord de la commune d’Avize sur des sols argileux avec des vignes de 55 et 40 ans, alors que Vénus émane de vignes de plus de 55 ans situés dans la parcelle La Fosse (aux Pourceaux), plutôt au centre est du village, aux sols plus calcaires.
À l’issue de la dégustation collective, il nous a semblé que le travail de Pascal Agrapart avait encore progressé avec le millésime 2008, dégusté à plusieurs reprises depuis quelques mois. Et quelques cuvées du millésime 2009 récemment goûtées semblent très prometteuses ! Rançon du succès, le domaine ne reçoit quasiment plus de visites et réoriente les acheteurs vers son réseau de cavistes.

 

Anselme Selosse dans Chantereine Yaïr Tabor

Champagne Jacques Selosse

Le travail et la “philosophie” d’Anselme Selosse, qui dirige le domaine avec l’implication de plus en plus forte de son fils Guillaume, sont bien connus. Peu de choses ont changé en 9 ans (cf. R&B no 80, printemps 2006) – travail à la vigne toujours dans une optique biologique/biodynamique sans « s’enfermer » dans une certification, et vinification/élevage en barriques –, avec une observation de tous les paramètres à la vigne et au chai. Le foncier a quelque peu évolué grâce à l’acquisition de 0,80 ha en 4 micro-parcelles et l’arrachage de quelques ares de vignes. Globalement les 8,2 ha du domaine se répartissent pour moitié sur Avize et pour moitié sur d’autres communes de la Côte des Blancs – Oger, Le Mesnil sur Oger et Cramant – et, minoritairement en pinots noirs, sur Aÿ, Mareuil et Ambonnay . Les parcelles d’Avize sont réparties sur l’ensemble de la commune, à l’exception du secteur des Avats et des Chênes. Les cuvées Initial – plutôt des vignes en bas de coteaux – et VO (Version Originale) – vignes en pied de coteaux ou coteaux (secteurs de Barmonts, Clos Jaquin…) – contiennent des raisins issus d’Avize, mais pas uniquement. Seules les cuvées Substance (solera de raisins principalement issus du secteur des Monts de Cramant), Avize (assemblage de différents secteurs de la commune) et Chantereine – mono-parcellaire créée depuis peu en isolant une partie des vignes de ce lieu-dit pour mettre en exergue les argiles complexes issues du sol ou descendues des coteaux – sont des “purs” Avize. Les sols sont enherbés, « l’herbe n’est que l’expression d’un lieu et la concurrence seulement gênante pendant la fleur », selon le vigneron. Ils sont également travaillés – « pour voir ce qui s’y passe » –, à la charrue à Avize et au cheval à Aÿ ou Ambonnay, mais en prenant garde de ne pas déstructurer le terroir considéré comme un biotope, un lieu de vie. Quelques amendements à base de fumier de mouton composté avec très peu d’azote peuvent être apportés, si besoin. À terme Anselme Selosse souhaite redensifier son vignoble en atteignant ou dépassant les 11 000 pieds/ha. En cuverie, deux pressoirs inclinés à plateaux parallèles, des fermentations sans intrants sauf parfois un adjuvant pour la fermentation alcoolique, pas de débourbage sauf cas exceptionnel. L’adjonction de soufre à l’écoulement du jus dépend de l’état sanitaire de la vendange et du pH. Les dosages en liqueur d’expédition sont toujours très faibles, bref, rien n’est jamais figé et le vigneron est en permanence à l’écoute de son terroir et de ses vins…

Les vins sont toujours aussi passionnants à goûter mais certaines cuvées peuvent réclamer beaucoup d’attention aux dégustateurs peu habitués à ces champagnes. À noter que le domaine ne reçoit guère de visites et ne commercialise généralement les vins que par le biais de cavistes spécialisés.

 

Eric de Sousa dans sa parcelle des Hauts Nemery Yaïr Tabor

Champagne De Sousa

Installée à Avize, la famille de Sousa gère plus de 9,5 ha au total répartis en 6,5 ha en chardonnay – dont approximativement près de 4 ha en Grands Crus de la Côte des Blancs, 2 ha se répartissant sur Grauves, Cuis, Chouilly et Mancy –, 2 ha en pinot noir et 0,5 ha en pinot meunier, toutes ces vignes réparties sur 12 villages. Érick de Sousa, tout comme Anselme Selosse et Pascal Agrapart, travaille ses sols depuis longtemps mais, contrairement à ses deux collègues qui ne recherchent pas de label officiel, les vins sont ici certifiés en agriculture biologique (depuis 2010) et biodynamique (Demeter depuis 2014). Dix personnes travaillent au domaine, toutes tâches confondues incluant quelques prestations – vignes et travaux de chai – effectuées pour autrui. Deux gammes de vin cohabitent : Champagne De Sousa pour les vignes en propre et Champagne Zoémie De Sousa pour les apports de raisins, principalement familiaux.
Depuis quelques années, la plupart des sols sont labourés au cheval mais les traitements demeurent mécanisés, chenillard ou chenillette. La famille possède sur Avize plusieurs parcelles qui rentrent dans la composition de la Cuvée des Caudalies : lieux-dits La Fosse, Haut Nemery, Les Pierres Vaudon…, complétés par quelques parcelles limitrophes d’Oger. La gamme De Sousa évolue constamment telle la récente cuvée Umami, une future solera, une cuvée Mycorhize sur une base 2010…

Pour le futur – Érick de Sousa et son épouse ont 3 enfants –, l’objectif serait derécupérer 1 ou 2 ha de pinot noir, idéalement sur Bouzy. Opération difficile, les transactions sont rares et le prix de l’hectare a quasiment doublé en 10 ans.
La maison possède deux pressoirs de 4 000 kg et les tailles sont réincorporées selon le millésime. La cuverie comporte des cuves émaillées pour la vinification des vins issus de jeunes vignes et des cuves bois (différents tonneliers) pour ceux provenant des vignes les plus anciennes.
La fermentation alcoolique est réalisée par les levures indigènes mais la fermentation malolactique s’appuie sur un ensemencement en bactéries lactiques. Les raisins sont seulement sulfités sous le pressoir – 6 g/hl en moyenne – avec un objectif de 30 à 35 mg/l de soufre total à la mise pour 5 à 10 de soufre libre. Les dosages en liqueur d’expédition sont variables selon les cuvées, généralement de 2 à 7 g/l. Les vins sont consensuels et bien faits, d’abord facile et cependant complexes.

Agnès Corbon dans la parcelle Chemins de Chalons Yaïr Tabor

Les autres domaines, à la démarche plus classique, voire parfois traditionnelle, dont certains ont une belle marge de progrès dès lors que seront commercialisées, ou produites, des cuvées bénéficiant de l’évolution du travail à la vigne.

 

Champagne Corbon

Depuis 2004 avec son père Claude et seule depuis 2006, Agnès Corbon, jeune femme dynamique, dirige ce petit domaine de 2,75 ha dont 1,10 ha à Avize, le reste des vignes étant situé sur la vallée de la Marne et supervisé par Jérôme, frère d’Agnès. Les 3 petites parcelles sont situées au nord d’Avize, en limite de Cramant, et plutôt à l’est. Les vignes datent de 1964 et de 1993 (clones) sur porte-greffe 41B, fréquent ici. Pascal Agrapart, en voisin attentionné, a prodigué des conseils à Agnès à ses débuts et continue de l’aider, selon ses demandes. Les sols, en « chimie » à l’époque de Claude Corbon, sont partiellement travaillés par un prestataire depuis la reprise, l’objectif à terme étant une extension du travail sur l’ensemble du domaine. Les rendements moyens d’environ 11 000 kg/ha autorisent une commercialisation de 10 000 bouteilles par an. Depuis 2008, un nouveau pressoir pneumatique de 4 000 kg a permis d’améliorer la qualité des jus, les tailles étant peu incorporées. Les vinifications s’effectuent en cuve Inox avec ensemencement pour la fermentation alcoolique, mais sans filtration ni collage. La fermentation malolactique est généralement évitée sauf, parfois, lors de tirages “liège”. La mise en bouteille s’effectue en mai ou juin de l’année suivante, les vins sont conservés assez longtemps sur latte et commercialisés après plusieurs années de repos : les 2007 et 2008 viennent seulement d’être dégorgés. Le dosage habituel est de 6 g/l. Un domaine à suivre…

Olivier Bonville Yaïr Tabor

Champagne Franck Bonville

Créé en 1937 et basé à Avize, ce domaine de plus de 15 ha est constitué de 9 ha de vignes sur Avize, 4,5 sur Oger et 1,4 au Mesnil-sur-Oger. Olivier Bonville, œnologue de formation, en assure la direction opérationnelle. Depuis 2012, de nouvelles cuvées « Cœur de Terroir » ont vu le jour : il s’agit d’assemblages des meilleurs jus des trois communes susnommées, en tirage “liège”. La maison commercialise plusieurs cuvées “pur Avize” ou Avize majoritaire. Depuis 2011, le domaine est certifié HVE (Haute Valeur Environnementale) et Olivier Bonville vise à terme une viticulture propre : « Aujourd’hui 80 % du vignoble est travaillé sans désherbant chimique avec, le cas échéant,des écorces, et l’objectif est de ne plus utiliser de désherbants ». Des traitements phytosanitaires de type non CMR sont employés en diminuant progressivement les doses. De même la biodiversité est favorisée ainsi que la réduction de la fertilisation sur le pied de vigne. Dix personnes travaillent à la vigne et à la cave sous la responsabilité d’Olivier Bonville qui prend toutes les décisions.

Le domaine possède deux pressoirs de 8 000 kg. Les tailles sont isolées dans une cuve : si elles sont jugées très qualitatives, après dégustation, elles intègrent l’assemblage final, sinon elles sont ensemencées en bactéries lactiques dans le but de lancer la fermentation malolactique. La fermentation alcoolique est déclenchée à l’aide de levures déshydratées. Les vins reposent en moyenne 3 ans sur lattes et sont “tirés”en capsule synthétique ou en bouchage liège.

À l’image du vinificateur, les vins sont sérieux : techniquement bien faits, mais souvent trop dosés à notre goût et manquant parfois d’un “brin de folie” ou d’exubérance, c’est selon…

 
Denis Varnier dans ses vignes Yaïr Tabor

Champagne Varnier-Fannière

Denis Varnier dirige seul ce petit domaine de 4 ha datant de 1850 et basé à Avize, même si le vignoble est situé pour un tiers seulement sur cette commune, les deux autres tiers se répartissant sur Cramant d’une part et sur Oger et Oiry d’autre part. En 1988, Denis en reprend la direction, BTS viti-œno en poche. Les 35 000 à 40 000 cols produits chaque année partent pour les 2/3 à l’export (Asie et USA), le tiers restant est vendu à des particuliers. Les parcelles d’Avize sont situées sur le secteur des Maladreries, des Pierres Vaudons et du Chemin de Flavigny. Seules deux cuvées (cf. la dégustation) sont à dominante Avize ou pur Avize. Pour l’instant Denis Varnier ne travaille pas ses sols : il le justifie par une baisse de production potentielle, la rémanence du cuivre et des coûts de production élevés. Des écorces sont épandues pour éviter de désherber. Pas d’amendement des sols, pas de produits anti-pourriture, culture raisonnée avec une baisse programmée des produits phytosanitaires. Le vigneron est cependant bien conscient qu’à terme tonte de l’herbe et désherbage mécanique sous le rang s’imposeront. Denis aime les vins mûrs, avec peu d’acidité : vendanges assez tard pour viser 11° naturels. Il utilise un vieux pressoir Coquard carré manuel de 2000 kg. La fermentation alcoolique se fait avec les levures indigènes ou des levures sélectionnées selon les circonstances, mais un ensemencement en bactéries déclenche la fermentation malolactique. Par refus des arômes de réduit, un micro-bulleur est utilisé à chaque pompage, tout en évitant que les vins ne s’oxydent démesurément. En cave, uniquement des cuves Inox. La prise de mousse s’effectue sous capsules assez perméables à l’air. Au tirage, 35 mg/l de soufre total, avec l’objectif de 7 mg/lde soufre libre. Le dosage, parfois conséquent, varie selon les cuvées.

Nicolas Robert (Sanger) dans les Maladries Yaïr Tabor

Champagne Sanger

Le Champagne Sanger est produit par la coopérative des anciens élèves du lycée viticole d’Avize, appelée aujourd’hui Avize Viti Campus. Sanger peut être considéré comme un petit négoce dont l’approvisionnement provient des adhérents, anciens élèves répartis sur toute la Champagne, mais également de l’exploitation des vignes du lycée, de la mairie et de la maison de retraite, d’où une gamme variée de vins, couvrant l’ensemble du territoire de la Champagne. Sur Avize, un peu plus de 3 ha sur les 10 en propres de Sanger, principalement sur les lieux-ditsAvats, Chênes et Maladries-Terres de Maladries, parfois orthographiées Maladreries. D’autres parcelles également sur les Grands Crus de la Côte de Blancs, à Oger et Cramant. Nicolas Robert, directeur d’exploitation et chef de cave, fait actuellement évoluer les pratiques viticoles : depuis 2006, certaines parcelles ne sont plus désherbées et les sols travaillés dans l’attente d’un arrêt complet du désherbage. La lutte contre l’oïdium fait appel à des produits bio en début de campagne, même si des traitements phytosanitaires sont prodigués ensuite, en baissant les doses. De même, un essai en agriculture biologique – non certifiée – a été tenté sur un sous-ensemble et on a pu comparer, en vins clairs du millésime 2014, les jus issus de la parcelle bio avec un témoin en “conventionnel” : les résultats sont édifiants en termes de tension et de sapidité ! Le rendement visé est de 10 000 kg/ha. En cuverie, deux pressoirs, des cuves Inox et quelques fûts. Les vins sont débourbés selon le principe de la flottation. La fermentation alcoolique démarre à l’aide de levures sélectionnées et la fermentation malolactique est souvent partielle. Les vins sont protégés au tirage de façon à présenter 5 à 10 mg/l de soufre libre. Le dosage, adapté au style des vins, est en moyenne de 6 g/l.

 

Thierry Callot dans le Clos Jacquin Yaïr Tabor

Champagne Pierre Callot

Thierry Callot, dernier des quatre enfants de Pierre Callot, ancien maire d’Avize et détenteur de la marque éponyme, dirige depuis 1996 ce domaine de plus de 7 ha. Ce sont 4,5 ha à Avize sur plus de 20 parcelles distinctes, 0,5 ha à Cramant et 1,2 ha à Grauves, commune située au sud d’Épernay, classée en 1er Cru et rattachée historiquement à la Côte des Blancs, complétés par quelques autres petites parcelles sur Cuis et Chouilly. Outre lui-même et son épouse, Thierry Callot, œnologue de formation, emploie 3 salariés à temps plein. Le travail des sols est effectif depuis 2010, avec un enherbement au milieu du rang et une tonte de l’herbe dont la fréquence dépend des variétés dominantes. Le vigneron est circonspect vis-à-vis de ce qu’il considère parfois comme des modes ou des lubies – la bio et la traction animale – par manque d’essais en double aveugle, d’expérimentations correctement codifiées selon lui… Il est très attentif à la « santé » de son vignoble, notamment en termes de vigueur de la vigne, de gestion des manquants et de lutte contre l’esca et le court-noué. Une maturité des raisins de 10,8 à 11° d’alcool est recherchée avec un objectif de rendement de 10 000 à 11 000 kg/ha. En cuverie, un pressoir de 4 000 kg, des cuves Inox et des fûts. Les tailles sont assemblées à la cuvée sauf dans les 2 « têtes de cuvée » Grand Cru, le Millésime et le Clos Jaquin. La fermentation alcoolique s’effectue naturellement et la fermentation malolactique, quand elle est recherchée, est également réalisée à l’aide des bactéries indigènes. Le sulfitage est conséquent après pressurage – environ 5 g/hl, le tirage s’effectue avec une teneur de 10 à 15 mg/l de soufre libre et la liqueur d’expédition n’est pas sulfitée. Le dosage peut être important – selon nos goûts – mais il s’intègre assez bien en bouteille. Thierry Callot possède une forte personnalité qu’il semble avoir transmise à ses vins…

 

Richard Petit dans les Avats Yaïr Tabor

Champagne Petit &Bajan

Richard Petit dirige, avec son épouse Véronique née Bajan, cette petite exploitation de 3,15 ha aux vignes situées sur Avize, Chouilly et Verzenay. Richard s’occupe également de la société familiale Petit-Le Brun et fait aussi office de délégué syndical pour les vignerons d’Avize, tâche assez complexe : il n’est pas toujours aisé de tout savoir sur les domaines et les parcelles même si l’on possède une bonne connaissance du vignoble, des sols avizois et des hommes.
Le domaine Petit &Bajan commercialise une cuvée Nuit Blanche issue majoritairement, sur Avize, des parcelles les Roches/les Chênes, les Avats (2 petites parcelles de 30 et 50 ans), ainsi que les Chemins de Châlons en limite de Cramant et de Oiry. Nuit Blanche est produite à 5 000 bouteilles, le reste de la production des 3,15 ha constitue la cuvée d’assemblage Ambrosie – chardonnays d’Avize et pinots noirs de Verzenay – et le rosé Nymphéa, ou est vendu au négoce. Les sols sont désherbés mécaniquement pour moitié mais également chimiquement avec des produits défanants. Le charrutage n’est donc pratiqué que partiellement sous le rang, dans l’attente de disposer des moyens pour l’étendre à l’ensemble du vignoble.
Richard Petit apprécie les vins mûrs : il est un des derniers à vendanger sur la commune.
En cave, un pressoir pneumatique de 4 000 kg, des cuves Inox et quelques barriques pour certaines cuvées d’assemblage. La fermentation alcoolique, parfois précédée d’un enzymage, est réalisée à l’aide de levures sélectionnées et les tailles sont peu utilisées (pied de cuve destiné à l’ensemencement en bactéries lactiques). Les vins sont assez peu dosés et on y perçoit du potentiel qui ne parvient pas encore à s’exprimer pleinement…

 

Olivier et Stéphanie Waris Yaïr Tabor

Champagne Waris-Hubert

Ce domaine de 11,5 ha, dirigé par Olivier Waris et sa femme Stéphanie née Hubert, possède près de 6 ha en Côte des Blancs, dont 2,25 ha à Avize sur les lieux-dits Les Avats, le Haut Nemery, les Maladries du nord, les Robards, la Voie d’Oger. Originaire de Cramant, où sont installés la cuverie et le chai avec 2 pressoirs Coquart horizontaux de 4 000 kg, Olivier travaille avec un employé permanent, des travailleurs saisonniers ou ponctuels (l’équivalent de 2 personnes à temps plein) et son épouse qui l’aide, y compris à la vigne. Ce n’est pas de trop : outre l’activité au domaine, Olivier assure également des prestations à la vigne pour autrui ainsi que des prestations de pressurage. Des journées très (trop ?) chargées, donc… Trois cuvées de chardonnay Grand Cru sont produites : l’une issue majoritairement des terroirs de Cramant avec un peu d’Avize et d’Oger et deux “pur Avize”. Une petite moitié de la production totale est toujours vendue « au kilo » et la commercialisation à l’export (USA et Japon) se développe.
A la vigne, le travail des sols a repris depuis 3 ou 4 ans : dès le printemps un premier labourage à 20 ou 30 cm, puis du griffage en surface. Sur les nouvelles plantations, le chenillard est utilisé et une partie des travaux est effectuée à la main dans l’attente de la traction animale grâce à un prestataire. Comme chez nombre de ses voisins, la lutte raisonnée est pratiquée, l’utilisation de produits bio semblant difficile au vigneron qui envisage cependant de faire un essai sur une parcelle homogène qu’il scinderait en deux pour comparer les résultats bio/conventionnel. Un rendement bien inférieur à 13 000 kg/ha est visé pour atteindre 11° naturels.
Au chai, sulfitage modéré entre 3 et 4 g/hl, débourbage à froid et ensemencement pour effectuer la fermentation alcoolique. La fermentation malolactique, quand elle est recherchée, est réalisée à partir d’un pied de cuve issu des tailles ensemencé. Les dosages sont faibles, avec une liqueur d’expédition non sulfitée. Homme curieux et travailleur, Olivier Waris effectue des essais sur différents contenants, les assemblages et la composition des millésimes, avec une solera à venir. Un domaine à suivre…

 

Les leçons d’un périple avizois

À l’issue des dégustations et des visites sur place, il nous semble que la réponse à l’interrogation initiale – surplus de minéralité ? – relève surtout des bonnes pratiques culturales qui ont mis en exergue le terroir. La différence est patente, que ce soit en champagne ou en vins clairs, entre ceux issus de vignes bien travaillées et les autres…

Certes le vignoble est globalement qualitatif – prime aux vieilles vignes ! , même si les modes de culture ne sont pas toujours dignes d’un Grand Cru au prix de vente élevé. On assiste cependant à une véritable prise de conscience de la nécessité de revenir aux fondamentaux, travail des sols et pratiques moins interventionnistes, ce que certains domaines situés en zones moins réputées – vallée de la Marne notamment – ont compris depuis longtemps.

De plus, et heureusement, rien ne semble totalement figé car, malgré le coût du foncier et la rareté des transactions, de nouveaux acteurs semblent se profiler à l’horizon, en reprise partielle ou totale de domaines, en commercialisation de cuvées parcellaires ou en acquisition de nouvelles parcelles. On espère qu’ils demanderont conseils auprès de leurs collègues les plus avisés et qu’ils ne céderont pas à la facilité consistant à ne pas mettre en valeur leur patrimoine viticole…