Vignobles de France

BAUX et bons à la fois ?

Article publié initialement dans notre n°118
Article publié initialement dans notre n°118
PROVENCE > AOC LES BAUX-DE-PROVENCE ROUGE

Le vignoble des Baux-de-Provence, légèrement décroché à l’ouest, constitue l’une des neuf appellations qui composent le vignoble provençal. En ces lieux privilégiés par la nature, le potentiel économique généré par le tourisme attire les investisseurs. De grosses structures côtoient de plus modestes domaines et leurs approches du vin diffèrent sensiblement, certaines ayant déjà été mises en avant par LeRouge&leBlanc.

Depuis Avignon, on distingue, en progressant vers le sud, une vaste barre rocheuse qui s’étend sur vingt-cinq kilomètres d’est en ouest. Le massif préalpin des Alpilles semble isolé au milieu de la plaine agricole provençale, comme une boîte posée sur une table. C’est sur ces terres caillouteuses et calcaires du crétacé supérieur que poussent, dans un cadre enchanteur, les 370 ha de vignes de l’appellation des Baux-de-Provence. La lumière et l’énergie des lieux n’ont pas d’équivalent et de nombreux artistes y ont immortalisé leur talent. L’un des plus célèbres, Vincent Van Gogh, séjourna à Saint-Rémy peu avant de mettre fin à ses jours. Le massif des Alpilles est caractérisé par la présence de multiples petits ruisseaux asséchés en été, appelés gaudres, qui alimentent les canaux creusés pour l’irrigation des exploitations agricoles. Le paysage est pauvre et sec, très rocailleux. Les sols sont rares. Le climat aride a l’avantage de limiter les maladies. Le mistral ventile les vignes un jour sur trois, ce qui favorise les pratiques bio. Tous les domaines de l’appellation, sauf un, ont d’ailleurs adopté ce mode de culture.

Un cadre exceptionnel

Les vignes du Château Romanin Rémi Lorenzi

La présence de la vigne en ces lieux ne date pas d’hier et de nombreux vestiges romains en témoignent. Si la crise phylloxérique a contribué à substituer les oliveraies à la vigne, cette dernière a repris progressivement sa place à la suite du gel de 1956 qui causa la mort d’une grande partie des oliviers. Autrefois, les Alpilles étaient enclavées dans des marais, ce qui n’a pas facilité le développement économique de la région. Les vins étaient destinés à une consommation exclusivement locale. Désormais, les barques ont fait place aux grosses cylindrées et autocars qui sillonnent les vallons sans discontinuer. Il suffit de tenter d’accéder au village des Baux en plein été pour le constater. Plus d’un million et demi de visiteurs arpentent chaque année les ruelles de ce village classé qui domine un paysage exceptionnel. Les Alpilles culminent à 498 m dans leur partie orientale (hors appellation) mais les vignes ne dépassent pas les 120 m d’altitude. Le parc naturel des Alpilles est une zone protégée et les exploitations sont situées dans les vallons et dépressions qui bordent la montagne. Les inclinaisons des parcelles sont donc légères, rares sont les vignes qui semblent escalader le rocher, ce qui n’entrave en rien la bonne maturation du raisin grâce à un climat très favorable. Au contraire, une exposition nord serait presque une aubaine car la différence de climat est bien sensible entre les deux versants. En traversant la montagne du nord au sud, la végétation verdoyante s’assèche progressivement. Les écarts de maturité des raisins entre les parcelles exposées au nord et les autres peuvent atteindre deux semaines certaines années.

carte de l'appellation Baux de Provence

Des domaines technologiques

Rémi Lorenzi

Parmi la douzaine de domaines de l’appellation, on dénombre une majorité de grosses structures dirigées par des « néo-propriétaires », plus investisseurs que vignerons et qui n’ont pas lésiné sur les moyens mis en œuvre pour moderniser les infrastructures. Les chais n’ont rien à envier aux plus illustres propriétés bordelaises, les cuves thermorégulées s’alignent comme à la parade, les parcs à barriques se piquent d’un esthétisme sophistiqué, les parkings sont aménagés pour accueillir les autocars, les caveaux de dégustation font office d’épiceries fines où les coffrets cadeaux à la vente contiennent tous au moins une spécialité locale de tapenade. Le discours sur le vin est « marketé », les domaines cherchant à développer une véritable image institutionnelle autour de leurs produits. Au final, comme on pouvait le craindre, les vins présentent un profil technique commun et diffèrent essentiellement par leurs assemblages. Comme dans bien des régions, les progrès techniques de l’œnologie moderne jouent ici au détriment de la personnalité du vin. Et à la dégustation, cette tendance nous a paru particulièrement sensible. Le recours au levurage et à la thermorégulation est systématique, signe de la volonté de ne courir aucun risque susceptible d’enrayer les cadences d’un planning exigeant. Les pratiques modernes sont recommandées par les œnologues qui officient sur l’appellation et leur influence est d’autant plus forte qu’ils n’ont généralement en face d’eux que des vignerons de fraîche date. On a donc droit à toute la panoplie : macération pré-fermentaire à froid pour exalter les arômes fruités, enzymage pour faciliter les macérations et les extractions, soutirages et sulfitages réguliers, acidification à l’acide tartrique, etc. Le portrait dressé n’est certes pas élogieux mais il traduit notre sentiment de frustration éprouvé à la dégustation de certains vins banalisés et dénaturés, issus pourtant de beaux raisins mûrs. De tels domaines ont sans toute leur place dans les meilleures revues d’art ou d’économie, moins dans la nôtre. C’est d’autant plus regrettable que les prix pratiqués ici sont loin d’être angéliques. Peu de vins sous la dizaine d’euros, la moyenne se situant autour des 15 €. Les grosses cuvées, souvent sur-mûries, plus extraites et élevées en fûts neufs, peuvent même atteindre les 50 €…

L’AOC Les Baux-de-Provence

• 3 couleurs

• Reconnue en 1995 pour les rouges et rosés, en 2011 pour les blancs

• 370 ha

• 12 domaines + 3 hors appellation

• 7 communes : Les Baux-de-Provence, Saint-Etienne-du-Grès, Saint-Rémy-de-Provence, Mouriès, Maussane-les-Alpilles, Paradou et Fontvieille (vinification autorisée à Eygalières). Délimitation au nord par le canal des Alpilles.

• Rendement butoir fixé à 50 hl/ha

• Taille : taille courte, gobelet ou cordon de Royat avec un maximum de 6 coursons à un ou deux yeux. La syrah peut être taillée en Guyot avec un maximum de 8 yeux francs.

• Densité minimum de plantation : 4000 pieds/ha

• Elevage d’au moins un an

• Encépagement en rouge : plantation d’au moins deux cépages principaux (grenache, mourvèdre, syrah). Proportion de l’ensemble des cépages principaux comprise entre 60 et 90%. La proportion des cépages accessoires (cabernet-sauvignon, carignan, cinsault, counoise) ne peut excéder les 30 % (20 % seulement pour le cabernet).

• Assemblage en rouge : assemblage d’au moins deux cépages dont au moins un principal. Le ou les cépages principaux doivent composer plus de la moitié de l’assemblage.

Les « vrais » vignerons

D’autres domaines ont choisi de ne pas s’embarquer sur les voies confortables d’une viticulture technologique. Nous avons choisi de mettre en avant certains d’entre eux, plusieurs étant déjà bien connus des lecteurs du Rouge&leBlanc. Ils ont en commun le fait d’avoir adopté une démarche réellement qualitative dans leur travail en étant en prise plus directe avec les travaux dans la vigne et dans la cave. Ils se caractérisent aussi par une remise en question permanente de leurs pratiques. Ils sont peu interventionnistes dans leurs vinifications et privilégient la plantation de sélections massales sur des porte-greffes adaptés. La population de vieilles vignes s’est d’ailleurs considérablement amenuisée ces dernières décennies sur l’appellation au bénéfice de sélections clonales plus productives. Une tendance assez navrante car même s’ils produisent peu, ces vieux ceps donnent des résultats particulièrement probants. Nous avons ainsi été séduits par la cuvée « Coin Caché » du Mas de la Dame issue de vieux grenaches de 80 ans. Parmi les vignerons les plus connus des Baux, Dominique Hauvette, Henri Milan et Eloi Durrbach (domaine de Trévallon) sont trois figures emblématiques du monde du vin et ils n’en sont pas à leur premier millésime dans les Alpilles. Il n’y a que chez eux que l’on déguste sur fûts, est-ce le fruit du hasard ? Ces trois vignerons parlent la même langue, ils ne se côtoient pas tous les jours mais avancent sensiblement dans la même direction et leurs vins figurent parmi ceux qui ont été les plus appréciés lors de notre dégustation à Paris. Ce trio forme le noyau le plus solidaire de l’appellation. Chaque domaine regrette la cohésion manifeste qui animait l’appellation naissante dans les années quatre-vingt-dix et qui s’est peu à peu érodée. Caroline Missoffe, co-propriétaire du Mas de la Dame avec sa sœur Anne Poniatowski et présidente de l’AOC, tente d’entretenir une dynamique par le biais d’évènements pour la promotion des vins des Baux. Mais les domaines préfèrent le plus souvent avancer seuls sur un marché fortement alimenté par le tourisme. Parmi les cuvées que nous avons dégustées, les vins du domaine de Lauzières ont été pour nous une bonne surprise et une révélation car nous connaissions mal cette propriété. Jean-Daniel Schlaepfer qui a contribué, avec son associé Gérard Pillon, à restructurer la propriété était respecté pour ses connaissances approfondies et sa volonté d’améliorer la qualité de ses vins. S’il ne fait désormais plus partie de l’aventure de Lauzières, le personnel formé à son contact reste très impliqué.

Une dégustation contrastée

Une parcelle des vignes du domaine Hauvette Rémi Lorenzi

Le niveau des vins que nous avons dégustés est homogène et assez bon malgré quelques réserves. Nous avons noté aucun défaut majeur sur la qualité de la matière première, mais peu de vins nous ont réellement séduits. Certaines cuvées nous ont paru très techniques, avec un profil de vin du nouveau monde, « construits » pour être flatteurs. Des textures arrondies, veloutées, des fruités un peu artificiels, des acidités dissociées, des finales chaudes pour des vins qui ne sont pourtant pas systématiquement chargés en alcool. Des vins sans âme et sans « lieu », très éloignés du profil d’un vin provençal… A la dégustation, le manque global d’unité que l’on vient d’évoquer est accentué par la réglementation souple des assemblages. Sous l’appellation des Baux-de-Provence, le grenache comme la syrah peuvent composer la quasi totalité d’une cuvée (alors que, par exemple, la plupart des appellations du sud du Rhône imposent un minimum de 50% de grenache). Nous n’apprendrons à personne que l’expression de ces deux cépages diffère sur bien des points, sur le plan aromatique certes, mais notamment aussi sur leur comportement oxydo-réducteur. Lors de notre dégustation, nous avons choisi de respecter un ordre cohérent en fonction de ces assemblages, en commençant par les vins à majorité syrah pour terminer sur des cuvées privilégiant le grenache. Cela nous a donné l’impression de glisser progressivement d’une région à une autre, un peu comme si nous descendions la vallée du Rhône. Nous avons également cherché à évaluer l’influence des expositions nord ou sud en confrontant les vins issus des deux versants opposés. Exercice qui s’est révélé difficile car nous n’avons pas réussi à mettre en évidence des différences significatives. D’une façon générale, les vins que nous avons dégustés présentent des profils équilibrés, rarement lourds, soulignés par une acidité pas toujours aussi sapide et salivante qu’on le souhaiterait.

Quel avenir pour les Baux ?

On ne voit pas bien comment les choses pourraient être amenées à évoluer sensiblement sur l’appellation des Baux-de-Provence, sauf à imaginer des changements de propriétaire à la tête des gros domaines. L’hectare de vigne est ici très cher (forte pression immobilière) et il y en a très peu à la vente, ce qui ne favorise pas d’éventuels projets d’installation. La demande locale (via le tourisme) semble loin de faiblir, les estivants paraissant toujours heureux de quitter la région avec une caisse de vin et un bidon d’huile d’olive dans le coffre. Il faut reconnaître que la vue de ce paysage fascinant, formé de petits jardins de vignes et d’oliviers aménagés au sein de la garrigue et des massifs calcaires, donne fortement envie d’en rapporter un fragment chez soi… Ce qui, à terme, pourrait devenir préjudiciable aux rouges des Baux, c’est la demande en vin rosé qui ne faiblit pas, sa production en Provence ayant augmenté de 30 % en dix ans. Le rosé est plus facile à vinifier, moins exigeant sur la qualité des raisins et surtout plus rentable (élevage court et vente rapide). Même si l’identité du vin des Bauxde-Provence reste essentiellement rouge (près des 2/3 de la production totale), il n’est pas exclu qu’elle finisse par se laisser tenter progressivement par le rosé qui représente déjà plus du quart de la production.

Quelques domaines choisis

Eloi Dürrbach dans son chai du domaine de Trévallon Rémi Lorenzi

Domaine de Trévallon

Dans le monde du vin, l’histoire du domaine de Trévallon et de son fondateur Eloi Dürrbach (cf R&B n°17) est particulièrement exemplaire. Tout d’abord par un changement de cap radical pour le jeune Eloi en 1973 lorsqu’il abandonne sa formation d’architecte pour regagner le mas acquis jadis par ses parents, Jacqueline et René Dürrbach (un peintre et sculpteur de renom). Un travail de titan ensuite avec des parcelles de vignes façonnées à l’explosif à même la roche. Une affinité affirmée enfin pour le cabernet-sauvignon qu’il décide de planter à part égale avec la syrah, conforté en cela par les écrits de Jules Guyot, un médecin féru de viticulture qui, en des temps préphylloxériques, signalait la présence de ce cépage sur les terres provençales et préconisait de l’assembler à la syrah. Un premier millésime en 1976 suivi de rencontres décisives, notamment celle d’Aubert de Villaine (du domaine de la Romanée-Conti) qui lui ouvre les voies d’une reconnaissance aux Etats-Unis. L’histoire prend un nouveau tournant avec le 1982 plébiscité par Parker et surtout avec le déclassement en Vin de Pays des Bouches du Rhône en 1993 lié à la volonté de l’INAO de restreindre l’encépagement en cabernet à 20 % des surfaces exploitées (auparavant il était produit sous l’appellation « Coteaux d’Aix-en-Provence – Les Baux » et aujourd’hui son étiquette porte la mention de « IGP Alpilles »). Le domaine de 60 ha, dont 17 de vignes, est constitué de multiples parcelles disséminées entre forêt et garrigue. Elles sont réparties sur deux propriétés attenantes : « Trévallon » au sol fin et caillouteux sur laquelle ont été plantés les cabernets et « Chabert » aux terres plus profondes avec davantage de graviers où se trouve l’essentiel des syrahs. Les vignes d’origine, proviennent de sélections massales. Un tri sévère s’effectue dans les parcelles (bien que les années à pourriture comme 2014 soient rares) car comme le précise Eloi Dürrbach, « trier sur table n’empêche pas une contamination des raisins sains dans les cagettes. » Les raisins fermentent sans soufre ni levurage, en grappes entières dans des cuves inox qui ne sont pas thermorégulées. « Certains vignerons contrôlent la température de leurs cuves sur tablette depuis leur salon, ça rend paresseux ! Je ne souhaite pas gommer le profil du millésime, il faut simplement rester vigilant certaines années, car il m’est arrivé d’avoir des cuves à 35 degrés, des arrêts de fermentation, des malos qui s’enclenchent sous marc, suivies de montées de volatile mais si le raisin est bien né, il n’y a pas de raison que ça dérape. » Le vin est entonné en foudres de 30 hl pour deux ans sans soutirage. Le vigneron a appris à composer avec la réduction qui ne lui fait pas peur, au contraire : « Les lies nourrissent et protègent le vin en favorisant les phases de réduction qui ne sont que temporaires ; le soutirage améliore le vin le jour même mais finit par l’appauvrir à la longue. » Lors des analyses en cours d’élevage, l’ordonnance de l’œnologue est toujours la même : soutirer, sulfiter, mettre au propre, ajouter acide tartrique, gomme arabique et autres subterfuges. Eloi Dürrbach ne se laisse pas impressionner : « Il sait que je ne toucherai à rien à part corriger le SO2. » Le soufre libre est ajusté à 20 mg/l pour une teneur totale variant autour de 60 mg/l. Les vins sont finalement assemblés en cuve, collés au blanc d’œuf frais puis mis en bouteille sans filtration. Les 2014 sur foudre ne manquent pas de chair malgré la mauvaise réputation du millésime. Les jus sont friands et élégants. Les 2013 sont aboutis, délicieusement juteux, ils gagnent en densité et en allonge, un très beau millésime à Trévallon. Les plus impatients regretteront les phases de fermeture quasi systématiques que traversent les vins du domaine les premières années de leur vie en bouteille, une décennie étant souvent nécessaire pour retrouver l’allant et la gourmandise des jus en cave. La régularité des vins de Trévallon est remarquable, à la hauteur de l’exigence dont fait preuve son géniteur qui a su prendre des risques sans jamais faire machine arrière malgré les nombreuses polémiques qu’il a engendrées : « Nous exerçons une activité qui procure beaucoup de plaisir, il serait aberrant de se donner du mal à élaborer un vin sur mesure plutôt que de créer le vin que l’on a toujours eu envie de faire, il faut aller jusqu’au bout, c’est le premier conseil que je livre. »

Les deux passions de Dominique Hauvette : ses vignes et ses chevaux Rémi Lorenzi

Domaine Hauvette 

Installée sur le versant nord des Alpilles, à la sortie est de Saint-Rémy, Dominique Hauvette (cf R&B n°89) exploite une quinzaine d’hectares de vignes. Elle découvre la Provence en 1980 et s’y installe aussitôt, fascinée par « ce pays qui reste vert même en hiver. » Une opportunité lui permet d’acquérir en 1988 une propriété entourée de 2 ha de vignes qu’elle décide de travailler malgré sa méconnaissance totale du sujet : « Il fallait faire des vins de garde et de la qualité avec une si petite surface, comment en vivre autrement ? » Elle se rapproche naturellement de Noël Michelin du domaine des Terres Blanches et d’Eloi Dürrbach, deux pionniers de l’agriculture biologique dans l’appellation, et se nourrit de leurs conseils avisés. Elle franchit alors une marche, les vins se font progressivement connaître et reconnaître et la progression des ventes liée aux bons millésimes remarqués par la presse lui permet d’agrandir le domaine. La qualité des parcelles est hétérogène et plusieurs années consécutives de sécheresse ont fait souffrir certains plans dont les rendements ont chuté sous la barre des 10 hl/ha. Des sélections massales sont replantées pour compenser cette baisse de production préoccupante. Dominique Hauvette a fait évoluer le style de ses vins au gré des rencontres, notamment celle de Laurent Vaillé (domaine de La Grange des Pères) qui la convainc de renoncer à la vendange entière : « Je cherche de plus en plus à faire des vins pleins au grain de tanin très délicat. » Cette volonté l’amène naturellement vers des contenants neutres comme les œufs en béton qu’elle réserve aux cépages qui supportent mal le bois (le cinsault ou les blancs). Elle finit par délaisser la barrique au profit de cuves tronconiques et en inox. Trois cuvées de rouge sont commercialisées, « Roucas » et « Cornaline » d’une part, assemblages de grenache, syrah et cabernetsauvignon, et « Améthyste » d’autre part, composée en grande majorité de vieux cinsaults. Pas de soufre à la vendange, très peu de manipulations : égrappoir et pressoir sont déplacés aux pieds des cuves pour éviter les pompages : « Plus le vin est manipulé, plus il devient fragile. » Levures indigènes et fermentations lentes. Le décuvage a lieu dès que les tanins commencent à prendre le dessus. Les jus sont finalement élevés 24 à 36 mois dans des foudres de 30 hectolitres et des œufs en béton pour la cuvée Améthyste. Les vins sont sulfités occasionnellement de manière à enrayer les montées d’acidité volatile et mis en bouteille dans leur meilleure phase afin d’éviter une maladie de bouteille, quitte à reporter la mise de plusieurs mois. Les vins en cours d’élevage se sont révélés être très accessibles, soyeux et déjà bien en place. Le soin permanent accordé aux moindres détails dans l’élaboration de ses vins a permis à Dominique Hauvette d’être reconnue comme une figure incontournable du vignoble provençal. Et il n’y a désormais pas qu’ici qu’elle travaille le raisin puisqu’elle a acquis 20 ha de vieilles vignes sur granit (carignan, grenache) dans les Côtes Catalanes pour changer d’air et endiguer la routine qui se profile dans les Alpilles. Une trentaine de chevaux pur-sang arabes, ses compagnons de vie qu’elle élève avec passion, passent la majeure partie de l’année dans ce pays reculé, à trois heures de marche depuis la vallée. Un départ définitif dans ces contrées isolées est sans doute programmé pour un jour ou l’autre…

Théo Milan a rejoint son père Henri au domaine familial Rémi Lorenzi

Domaine Milan

A la propriété des Milan à Saint-Rémy de Provence, la vigne y a d’abord été plantée dans un but lucratif de vente à la coopérative, c’était en 1956. Trente ans plus tard, alors qu’il était question de les arracher, Henri Milan ose les reprendre dans l’objectif de produire des vins de qualité susceptibles de rivaliser avec les plus grands. Il abandonne les produits de synthèse, aménage un chai fonctionnel avec pressoir pneumatique et la qualité des vins progresse régulièrement. Mais les ventes, exclusivement locales à cette époque, chutent lorsque les prix montent. Henri doit donc aller à Paris pour trouver de nouveaux marchés. Il fera à cette époque deux rencontres déterminantes. Celle de Claude Bourguignon qui descend au domaine en 1996 pour analyser ses sols et lui révéler le potentiel de certaines de ses parcelles. Et surtout celle de Claude Courtois (vigneron « nature » en Sologne) qui lui donne de précieux conseils pour élaborer des vins gourmands et digestes. C’est à l’issue de ces échanges qu’il réalise qu’une longue extraction ne fait pas les grands vins et qu’une cuvaison d’une petite semaine peut suffire lorsque les raisins sont mûrs et sains. Progressivement il va procéder à des décuvages en cours de fermentation à des densités toujours plus élevées, jusqu’à 1060. Les cuvaisons ont lieu dans le béton avec les rafles. En 2000, son enthousiasme le pousse à se passer de soufre sur toutes les cuvées. L’épisode caniculaire de 2003 abîme partiellement le stock et les retours clients se multiplient à cause de nombreuses bouteilles déviantes. Le domaine traverse alors une phase de turbulences : « Les gens se souviennent plus facilement du négatif que du positif. » Cette expérience malheureuse fait réagir le vigneron qui corrige certaines pratiques. Le domaine n’a cessé depuis de gagner en régularité sous l’impulsion d’une équipe dynamique représentée, entre autres, par Sébastien Xavier, maître de chai depuis 2002, qui contribuera à instaurer une hygiène irréprochable à la cave. Henri a désormais été rejoint par deux de ses enfants, Théo qui assure le volet commercial avec brio, et Emmanuelle, œnologue de formation, dont les conseils avisés font encore progresser le domaine. S’il ne passe plus guère de temps dans ses vignes, Henri Milan a su mobiliser ses troupes en instaurant un climat de grande convivialité : « La meilleure formation est de déguster tous ensemble, afin que chacun prenne conscience de la nécessité de travailler de telle ou telle manière. » Parmi les parcelles de vignes situées sur le versant nord, le domaine Milan possède les plus éloignées de la barre rocheuse des Alpilles et les sols y sont plus profonds. 18 hectares plantés, composés de sables et de graviers dans la parcelle du Clos et de quelques veines de marnes bleues sur éboulis calcaires ailleurs comme sous les merlots du « Jardin », une cuvée élaborée dans l’esprit d’un grand pomerol, le plus connu de tous les vins élaborés à partir de ce cépage… Les vignes souffrantes sont arrachées au détriment de plants mieux adaptés au terroir. Toujours en quête d’expérimentations, le domaine a planté du pinot noir issu de sélections massales de chez Emmanuel Giboulot. Ramassé précocement, il donne un résultat concluant, contre toute attente. La gamme de rouge est étoffée, certaines cuvées sont proposées avec ou sans soufre ajouté comme celle baptisée « Papillon Rouge », un assemblage de grenache, syrah et cinsault. Nous avons dégusté deux millésimes du Clos qui nous ont marqués par leur mâche et leur complexité. La parcelle a été intégralement replantée en 2010, les vieux ceps de syrah et de grenache, à bout de souffle, ont fait place à de jeunes plants vigoureux. Un « Petit Clos » 2013 devrait bientôt voir le jour. Nul doute que cette parcelle nous réservera de futures belles émotions.

Christophe Pillon, François Marsille et Noemi Schudel le trio gagnant du domaine de Lauzières Rémi Lorenzi

Domaine de Lauzières

Le domaine de Lauzières est idéalement situé dans le creux d’un vallon intact des Alpilles, côté sud. Une trentaine d’hectares de vignes sur les 80 ha de la vaste propriété qui semble isolée, engoncée entre les crêtes calcaires. Le domaine est repris en 1992 par deux associés suisses, Gérard Pillon et Jean-Daniel Schlaepfer, déjà copropriétaires du domaine des Balisiers dans les environs de Genève. Le vignoble, comme le chai, est en mauvais état et nécessite un important travail de réaménagement. La majeure partie des ceps est arrachée au profit de sélections clonales et les locaux sont réhabilités. Une pratique biodymanique est instaurée comme au domaine suisse des Balisiers. Le professeur Alain Carbonneau un important chercheur de l’INRA (Institut National de la Recherche Agronomique) conseille d’introduire le petit verdot qui a la particularité d’être planté en lyre, un palissage atypique, permettant l’obtention d’une surface foliaire exposée plus importante. En 2012, la disparition tragique de Gérard Pillon change la donne et le domaine passe aux mains de son fils, Christophe. A nouveau, d’importants chantiers sont lancés et la priorité est donnée à la commercialisation des vins jusqu’ici réservée quasi exclusivement à la Suisse. A la vigne, François Marsille dirige les opérations depuis une quinzaine d’années. Arrivé initialement comme maçon, il se prend de passion pour la viticulture et devient chef de culture. A la cave, c’est Noemi Schudel, venue de Suisse, qui vinifie depuis 2009. Ce duo semble désormais tenir les rênes de l’exploitation, au moins techniquement. Les raisins sont égrappés et fermentent sans soufre en levures indigènes dans des cuves thermorégulées. Les cuvaisons sont assez longues. Le domaine commercialise quatre cuvées de rouge : « Persephone » à dominante syrah, « Equinoxe » et « Solstice » à majorité grenache, sont élevées en cuves d’acier émaillé ou en inox et « Sine Nomine » composée à 80% de petit verdot, passe 18 mois en œuf béton. Le soufre total est ajusté à 20 mg/l avant la mise. Pas de dégustation des vins en cours d’élevage mais de millésimes récents en bouteille. Les vins sont denses et élégants, caractérisés par des arômes de purée de fruits rouges. Les finales ont tendance à chauffer, à accrocher légèrement le palais, ce sont des vins à conserver quelques années en cave. C’est au domaine de Lauzières que Jean-André Charial, actuel propriétaire de l’Oustau de Beaumanière, fait vinifier sa cuvée « L’Affectif ». Les raisins provenaient jadis d’une des parcelles du domaine. Désormais, Monsieur Charial a trouvé ses propres vignes qui sont travaillées par le mas de Gourgonnier. Aucune différence de vinification avec les rouges de Lauzières, à part l’élevage qui se fait en barriques de trois vins. Pourtant, nous n’avons pas trouvé de lien de parenté avec ses compagnons de chai, L’Affectif présentant un caractère plus massif et concentré.

La Dégustation

La dégustation s’est déroulée sur deux séances avec seize cuvées dans chacune des séances. Une première a été consacrée aux millésimes récents avec une majorité de 2012, un beau millésime équilibré dans les Alpilles. La seconde visant à évaluer la tenue des vins dans le temps avec une majorité de 2008, millésime frais au profil plus septentrional.

Dans l’encépagement des cuvées, « S » correspond à syrah, « G » à grenache, « CS » à cabernet sauvignon, « M » à mourvèdre, « Ca » à carignan et « Ci » à cinsault.

Rouges 2012

Domaine des Terres Blanches

Aurélia

(S 50%, G 30%, CS 15%, M 5%)

12,5/20

Aromatique plaisante sur la garrigue, les olives noires et le cuir. Fruit frais, énergique, la finesse et l’équilibre semblent recherchées au détriment de la concentration sur ce millésime. Cela reste simple et la finale s’assèche sur un boisé qui finit par prendre de la place.

Domaine de Trévallon

(S 50%, CS 50%)

15/20

Le nez, peu disert, évolue sur les fleurs (lilas, jasmin), la pierre chauffée, le thym et quelques notes de café et de cacao en fond. « Pas de doute, nous sommes au pays » s’exclame un dégustateur. Bouche raffinée, équilibrée et fraîche. Matière, harmonie, délicatesse, le vin présente néanmoins une austérité sur sa finale tanique et pierreuse, presque froide. Un élégant boisé finit par émerger (épices, cigare, goudron). Apprécié à l’unanimité.

Mas de la Dame

Coin caché

(G 85%, S 15%)

13,5/20 Nez juteux, gourmand qui tend vers le floral (rose, iris, violette) et le végétal (géranium). La matière est imposante, presque massive, supportée par un élevage luxueux rendant les tanins un peu secs et caramélisés. On s’extirpe ici du côté policé, fait pour plaire, ce vin dégage plutôt un aspect brut.

Rouges 2011

Jean-André Charial

L’affectif

(G 60%, S 25%, M 15%)

13,5/20

Ce vin a divisé l’assemblée. A l’évidence, il y a de la matière, une belle texture droite, profonde, typiquement sudiste avec une rétro pimentée, dynamique et minérale. Certains lui reprochent un boisé caricatural (caramel, rhum) qui confère au vin une sucrosité un peu entêtante (bonbon gras, barbe à papa) et de la sécheresse en finale. Indéniablement, un vin de caractère, pas standard, à réserver pour la table.

Rouges 2010

Domaine Hauvette

Cornaline

(G 50%, S 30%, CS 20%)

13,5/20 Aromatique originale sur l’eau de vie, la cerise confite (amarena), le rhum où se mêle une fine pointe de volatile. Bouche pleine et juteuse, intense. Grosse matière rentrée qui peine à s’exprimer, à se prolonger. Rétro sur le poivron. Un brin monolithique en l’état, dans une phase ingrate. Sans doute à attendre. 

Domaine de Lauzières

Equinoxe

(G 70%, Ca 15%, Ci 15%)

14/20

Nez complexe mêlant fruits rouges mûrs, notes terpéniques et florales (fleurs de montagne), marinade, lard fumé, truffe. Silhouette large et ouverte. Ce vin, à l’esprit sauvage, ne joue pas dans la sophistication. Finale graphitée longiligne du plus bel effet. Dénote avec la région. Belle rencontre.

Domaine Hauvette

Améthyste

(Ci 65%, Ca 25%, G 10%)

15,5/20

Nez qui interpelle. Tantôt aérien et floral (pivoine, bergamote), tantôt terrien sur des arômes de figues confites, de réglisse, d’eau de vie d’abricot qui évoque à certains le spiritueux, le rhum. En bouche, la matière se présente élancée et dynamique sur un fruité délicat sans toutefois manquer de volume. Ce vin réjouit l’assemblée par son appétence et son élégance qui lui confère un esprit bourguignon. Une des toutes grandes bouteilles de la région.

Rouges 2009

Mas de la Dame

Coin Caché

(G 85%, S 15%)

14/20

Nez élégant sur l’humus, la tomate séchée et un peu de géranium qui laisserait penser à un petit blocage de maturité. Bouche du même acabit avec une certaine classe : équilibre, fraîcheur, sapidité et belle intensité de fruits mûrs que vient ponctuer une finale mentholée sur le noyau de cerise. Ce vin ne fait étonnamment pas sudiste.

Domaine Milan

Clos Milan

(G 80%, S 20%)

15/20

Nez avenant très typé grenache sur les fruits rouges à l’alcool (fraise, framboise) et un peu de café. Ce style est plus immédiat, plus éclatant que les précédents mais aussi plus libre et un peu plus évolué avec quelques notes oxydatives et une pointe de volatile. Cela lui sied plutôt bien. Finale saline et florale d’une grande fraîcheur qui évoque à certains la Bourgogne, à d’autres un barolo.

Rouges 2008

Domaine Guilbert

(S 75%, CS 15%, G 10%)

12,5/20

Vin au profil technique, facile d’approche avec un boisé épicé présent de bout en bout. Bien que tonique, la bouche ne joue pas sur le charme, elle se termine sur des amertumes marquées. Plus nordique que sudiste.

Château d’Estoublon

(G 30%, S 30%, M 30%, CS 10%)

12,5/20

Vin froid qui s’exprime sur le tabac brun et quelques discrètes notes de fleurs. Bouche sérieuse, assez consensuelle qui évoque le bordelais. Un style un peu passe-partout.

Domaine de Trévallon

(50% S, 50% CS)

13,5/20

Nez rentré, sombre, terrien (tomates séchées) assez typé cabernet. Le vin peine à se libérer. La bouche est serrée, on cherche un peu la matière. Le vin finit par se détendre et prendre un bel aspect tonique épicé. Phase ingrate pour ce vin au potentiel certain.

Domaine de Lauzières

Equinoxe

(G 70%, Ca 15%, Ci15%)

13,5/20

Nez assagi à tendance oxydative sur les fruits rouges à l’eau de vie. Frais et équilibré, le vin satisfait par son naturel. Belle personnalité, sans esbroufe, le vin semble néanmoins avoir déjà atteint son apogée.

Château Romanin

(S, G, M, CS)

12/20

Nez discret, froid. De l’intensité en attaque sans agressivité. Finit sec et amer, le vin semble très crispé.

Rouge 2007

Jean-André Charial

L’affectif

(G 60%, S 25%, M 15%)

13/20

Registre boisé épicé où se mêlent des notes de cassis. Vin juteux et large, harmonieux. Termine assez rustique. « Fidèle à l’idée que l’on se fait de l’appellation » avance un dégustateur.

Rouge 2003

Domaine Milan

Clos Milan

(G 80%, S 20%)

14/20

Nez oxydatif de type porto vintage, pruneaux, cuir, eau de vie. Construite sur une pointe de volatile, la puissante matière tapisse la bouche. Devient un peu sec à l’air. Un style qui peut diviser…

Une bonne adresse !

Où se restaurer

La table Alonso à Aureille Gérard et Josette Alonso tiennent une table et trois chambres d’hôtes à Aureille, petit village calme et pittoresque niché dans les Alpilles. Auparavant ils étaient installés à Sorgues, aux portes de Châteauneuf-du-Pape. Gérard est autodidacte mais ne cache pas son admiration pour la cuisine d’Alain Chapel dont il s’inspire. Il travaille des produits frais de saison qu’il transcende au travers d’un menu dégustation original qui voit défiler les petites portions savoureuses. Des mignardises aux desserts, en passant par le pain au levain et les sorbets, tout est fait maison ! Josette, en salle, assure le service et la convivialité. Le plateau de fromages sélectionnés par ses soins vaut le détour à lui seul. Le couple n’est pas inconnu dans le monde du vin. Ils ont jadis fait les beaux jours du Beaujolais à la tête de la Table de Chaintré, devenu le repaire des vignerons du cru et pas des moindres ! Gérard Valette, Henri Prieuré-Roch et surtout Marcel Lapierre qui les sensibilisera au vin naturel. On se régale des vins de Ganevat, Houillon, Selosse ou Meyer, tout ce qu’on aime ! 

Contenu réservé aux abonnés: