Viticulture
Le nouveau cours du foncier viticole
Deux propos tenus par les dirigeants de la SAFER résument à eux seuls les points-clés de cette tendance.
- Premièrement : « Les agriculteurs personnes physiques fermiers en place voient leurs acquisitions décliner de 18,4 % et atteindre un niveau historiquement bas, dans un contexte où l’achat des vignes louées n’est plus une priorité pour certains viticulteurs. » On peut supposer qu’il ne s’agit pas tant d’un choix que d’une nouvelle situation d’incapacité financière. Cette contraction serait due en partie à la hausse des taux d’intérêt.
- Deuxièmement : « Deuxièmes en termes de surface (21,3 %), les sociétés d’exploitation agricole non fermiers en place affichent une stabilité en surface (+0,5%) malgré le repli de leurs acquisitions (-3,8%). Leur bond en valeur [+16,8 % !] s’explique en grande partie par un nombre réduit de transactions exceptionnelles. » Les domaines viticoles déjà propriétaires s’efforcent donc de tenir le choc, mais font face à une croissance du prix des vignes.
Globalement, on achète moins mais plus cher. Ce qui paraît logique : achète-t-on moins parce que plus cher ? En effet, la baisse générale des transactions du foncier viticole (-7,6 %), comme des superficies vendues (-12,8 %) est contrebalancée par une augmentation considérable (+15,8 %) de la valeur. Ce qui s’explique par la vente de vignes prestigieuses, destinées aux vins de luxe.
Qui achète ? Les vignerons locataires déjà en place (mais sous forme de société agricole uniquement) ont tenté d’acquérir les vignes qu’ils cultivaient notamment après la crise des subprimes de 2008. Après un pic en 2019 cette stratégie s’est tarie. Il en va de même pour les vignerons déjà propriétaires, ayant cherché à agrandir leur domaine.
Mais les chiffres les plus impressionnants concernent les personnes morales non agricoles : relativement stable jusqu’en 2016, leur quota de transactions a bondi dès l’année suivante. Résultat : +228 % en sept ans ! « Les appellations prestigieuses […], remarque la SAFER, bénéficient d’un attrait en tant que valeur refuge auprès d’investisseurs fortunés ».
D’où un effet d’emballement, avec une progression de la valeur des vignes (+1,5 % moyenne nationale) dans certaines régions notamment en Bourgogne (+8 % après le +9,4 % de l’année précédente), surtout pour les premiers crus blancs, et qui commence à “contaminer” le Jura voisin (+17 % !), comme c’est déjà le cas pour le prix des vins. La cote de l’Alsace grimpe également (grands crus et pinot noir en tête), comme celle de la Loire (Saumur) et, bien entendu, de la Champagne. Cette dernière fait figure de cas à part : le prix moyen du foncier y a été multiplié par 3,2 en vingt ans !
Effet d’emballement, sauf pour les régions septentrionales. Est-ce anodin, compte tenu du réchauffement climatique ? Dans la moitié sud de la France, seuls Châteauneuf-du-Pape, la Corse, quelques secteurs de la Savoie et, ponctuellement du Languedoc (Pinet, Pic-Saint-Loup), ainsi que les appellations prestigieuses du Bordelais (Pauillac, Pomerol, Saint-Julien, Margaux) ne sont pas en repli.
Globalement, même les prix tractés par les crus de prestige semblent connaître un début de tassement, esquissé en 2022. « En 2023, écrit encore la SAFER, cette stabilisation se confirme : seules les appellations de la Côte d’Or poursuivent leur ascension, tandis que la stabilité prévaut dans les autres appellations prestigieuses et des baisses – parfois importantes – touchent de nombreuses appellations en rouge ».
Voilà pour les bouteilles à 50 ou 500 €. Mais des centaines de milliers d’hectares ne trouvent pas d’acheteur malgré la stagnation de leur valeur. Le prix du vignoble s’effondre dans le Lot-et-Garonne (-21 %) ou le Gard (-15 %). C’est également le cas des satellites du Libournais (Lalande de Pomerol -22 %) ou de la rive gauche bordelaise (Médoc -29 %, Listrac -33 %), pour ne pas parler de certaines AOC du Sud-Ouest (Buzet -35 %) ou de la vallée du Rhône Sud.
Ces données corroborent la crise des ventes de vin : -4 % en grande et moyenne surface, surtout pour les rouges (-9 %). L’export piétine également (-4 % en volumes et -10 % en valeur), tous secteurs confondus. La Chine, dont la production interne commence à se développer, et les États-Unis, ainsi que le Japon, dévissent.
Par ailleurs, la production 2023 ayant été généreuse (48 Mhl, +8 % par rapport à la moyenne des cinq dernières années), la disponibilité de vin entraîne d’ores et déjà une baisse des prix. Il a fallu envoyer à la distillerie près de trois millions d’hectolitres (plus de 5 % de la production !) pour réduire la surproduction.
Bref, si vous envisagez de vous lancer dans la viti-viniculture, une réflexion s’impose… Les Groupements Fonciers Viticoles (GFV), sociétés permettant de devenir co-propriétaire d’un vignoble et de rentabiliser son investissement soit en bouteilles soit en dividendes, ont le vent en poupe (+100 % des surfaces en dix ans !), certes. Néanmoins, leur succès représente probablement un autre indice du malaise d’un monde viticole qui cherche de nouveaux outils pour financer son évolution difficile, voire sa subsistance.