Viticulture

Une journée avec... François Dal

Issu de la documentation interne de la revue, cet article approfondit le sujet de la taille du cep et de son impact sur la santé de la plante. L'article complet sera disponible dans le supplément cahier technique mi Juin.
Issu de la documentation interne de la revue, cet article approfondit le sujet de la taille du cep et de son impact sur la santé de la plante. L'article complet sera disponible dans le supplément cahier technique mi Juin.

Les maladies du bois font des ravages dans la vigne française. Selon l’INRA, en 2012 elles touchaient 13 % du vignoble. Et leur impact va croissant. Ingénieur agronome, passionné par le vin et la vigne, établi dans le Sancerrois, François Dal a mis au point depuis 2003 des techniques de conduite de la vigne qui permettent de limiter, voire d’enrayer la propagation de ces maladies, au premier rang desquelles figure l’esca. Il travaille au SICAVAC, une structure privée créée par huit syndicats d’appellation de la région, qui pratique le conseil en viticulture et en œnologie et possède son propre laboratoire. Recépage, curetage ou regreffage des pieds, et taille “Poussard” figurent parmi les techniques employées. Toutes améliorent le flux de sève et l’équilibre énergétique des plantes. Et ça marche...

R&B Comment vous êtes-vous intéressé aux maladies du bois ?

En venant de la Champagne, la région la moins touchée par ces maladies-là, j’ai eu un choc à la vue de l’état des vignes dans le Sancerrois. J’ai tout de suite compris qu’il fallait y travailler. La deuxième année, un vigneron m’a demandé de le former pour passer du Guyot au cordon. Un des salariés qui allait bientôt prendre sa retraite était présent. . Je forme un pied et il me dit : « Moi, je ne l’aurais pas fait comme ça. J’aurais plutôt pris cette branche-là, parce que là, tu as pris deux branches du même côté ; comment veux-tu que ça vive de l’autre côté ? » 

J’ai eu un flash. Je me suis dit : « Mais oui ! Qu’est-ce qu’on est bête ! C’est évident ! Si on met tout d’un côté du pied, comment, l’autre côté peut-il fonctionner ? » S’il ne fonctionne pas, il meurt ou, s’il ne meurt pas, il produit du bois mort. Et, comme j’avais déjà trouvé beaucoup de bois mort dans des pieds que j’avais ouverts, c’est devenu une évidence : la présence de bois mort était en partie due à ce problème.

R&B C’est lié au flux de sève ?

Oui. Un cep possède deux flux de sève principaux. Si vous mettez tout d’un côté, l’autre sèche. La taille a un impact sur ces flux. Petit à petit, j’ai construit un modèle de taille idéal pour moins mutiler. Je l’ai développé en 2003-2004.

R&B Comment avez-vous trouvé le bon modèle ?

En 2005, j’ai découvert le livre de Poussard. J’ai vraiment eu un choc, car tout le travail que j’avais fait depuis deux ans avait été accompli un siècle plus tôt. Poussard avait déjà tout compris. Nous n’avions strictement rien inventé. Cela m’a conforté dans l’idée que nous allions dans la bonne voie. Et, depuis ce temps, nous rendons à César ce qui lui appartient, nous appelons cette taille la “taille Poussard” plutôt que la taille non mutilante.

Bon sens et logique

R&B Avez-vous trouvé dans ce livre des idées auxquelles vous n’aviez pas pensé ?

Sur de petits détails, mais pas sur les grands fondamentaux. C’est tellement du bon sens et tellement logique ! D’ailleurs, lorsque l’on explique la technique aux viticulteurs, leur plus grand choc est de constater que tailler en respectant mieux les flux de sève est une évidence, et que c’est forcément positif pour la plante. Il n’y a pas de sceptiques.

R&B Quels sont les principes fondamentaux de cette taille ?

Les deux grands principes sont : essayer de garder de la vie des deux côtés en maintenant les deux flux de sève vivants, et créer des cônes de cicatrisation au moment de la taille. Dans plupart des arbres, la sève circule plus ou moins en spirale : si vous injectez un liquide coloré, vous le retrouvez un mètre plus haut partout dans le houppier. Mais pas dans la vigne. La circulation de sève y est très compartimentée. Un liquide coloré injecté d’un côté se retrouve plus haut mais toujours du même côté et pas de l’autre. Les deux flux de sève circulent de manière quasiment séparée. D’ailleurs, souvent, sur les très vieux pieds le cœur de la plante est mort et on peut quasiment former deux ceps.

Au début, il y a quinze ans, je faisais rigoler tout le monde. Les chercheurs de l’INRA riaient à gorge déployée !

R&B Quelles maladies recouvre le terme “maladies du bois” ?

L’esca principalement. Il y a un débat pour savoir si l’esca et le BDA (Black Dead Arm) sont deux maladies différentes ou la même. Pour moi, c’est un faux débat : ce sont deux expressions légèrement différentes de la même problématique. Il y a aussi l’eutypiose qui a vraiment un aspect différent de l’esca avec un feuillage rabougri. Mais le champignon déclencheur est un des champignons “pionniers” de l’esca. D’après Philippe Larignon de l’IFV de Nîmes, qui a beaucoup travaillé sur les champignons, certains d’entre eux sont des “pionniers” ; ils sont ensuite surcontaminés par des champignons secondaires qui, eux, provoquent les symptômes. Parmi ces champignons pionniers, il y a le champignon responsable de l’eutypiose.

En moyenne, à Sancerre, à partir de la dixième année, nous constatons un taux de mortalité de 4 à 5%, ce qui est énorme. Dans des vignes qui ont entre 20- 25 ans, la moitié des pieds d’origine sont morts. Certains cépages sont beaucoup plus sensibles à l’esca que d’autres. Parmi les cépages très sensibles, on trouve : le trousseau et le savagnin dans le Jura ; le riesling et le gewürztraminer en Alsace ; le sauvignon à Sancerre ; l’ugni blanc à Cognac ; dans le sud de la France : le mourvèdre, le muscat... Tous ces cépages ont tendance à être très aromatiques, surtout les blancs qui produisent des thiols volatils. En rouge, les deux que j’ai cités, mourvèdre et trousseau, sont deux cépages légers avec beaucoup de fruit et pas forcément très tanniques. Il y a certainement un lien entre ces caractéristiques et la capacité de la plante à se défendre.