Viticulture

UNE JOURNÉE AVEC… MARC BIREBENT

Extrait de l'article paru dans notre cahier technique et dans le n°119
Extrait de l'article paru dans notre cahier technique et dans le n°119

Marc Birebent est greffeur de profession mais il est aussi persuadé que, mal faites, les greffes participent à la recrudescence récente des maladies dégénéératives de la vigne. Il est le descendant d’une famille de vignerons oranais, rapatriés dans un premier temps en Corse où ils fi nirent par ne plus se sentir bienvenus. En 1985, « replié sur le continent », son père a fondé une des premières sociétés de conseil viticole françaises. Il y pratiquait aussi, à petite échelle, la greffe manuelle “à l’œil dormant” qu’il avait pu apprécier lors d’un voyage dans le vignoble californien. Diplômé en droit de la vigne, Marc Birebent a d’abord exercé le métier de vigneron au cours des dernières années d’existence du domaine familial en Corse avant de reprendre les rênes de la société (Worldwide Vineyards) qu’il a spécialisée dans le greffage manuel, abandonnant les activités de conseil. Ses voyages dans les vignobles du monde entier et ses expériences personnelles l’ont convaincu : la multiplication récente des cas de dépérissement de la syrah comme la prolifération de l’esca et d’autres maladies dans le vignoble français pourraient être endiguées par des pratiques plus saines de greffage. Mais il a malheureusement souvent l’impression de prêcher dans le désert…

R&B Vous nous avez contactés à la suite de l’entretien avec le pépiniériste Lillian Bérillon (R&B n°114). Vous estimez important d’évoquer publiquement la question du greffage de la vigne, pourquoi ?

Marc Birebent : Pour moi, les deux problèmes les plus graves de la viticulture contemporaine ont été la sélection clonale et la mécanisation de la greffe depuis les années 1970 - 1980. Comme par hasard, leur pratique a coïncidé avec la recrudescence des maladies de dépérissement de la vigne dans tous les vignobles. Or, on refuse de faire publiquement le lien entre ces éléments.

R&B On commence pourtant à se poser des questions…

M.B. : Ça bouge un peu, mais uniquement dans un réseau de vignerons bio et biodynamistes ou chez quelques rares consultants et pépiniéristes. Pour le reste, on nous propose comme seuls remèdes l’introduction de nouveaux clones ou des produits chimiques.

R&B Pourtant le greffage de la vigne n’est pas une nouveauté…

M.B.  : Non. Les plus vieux écrits mentionnant la greffe d’arbres fruitiers proviennent d’ouvrages chinois datant de 5000 ans avant Jésus-Christ. Le greffage de la vigne a toujours existé. Des auteurs romains comme Caton, Columelle ou Varron le mentionnent déjà. À l’époque, c’était sans doute une pratique simplement ponctuelle pour assortir des variétés ou pour favoriser les proportions de certains cépages. Des textes du docteur Jules Lavalle en Bourgogne évoquent aussi les moines du Clos Vougeot pratiquant le greffage pour uniformiser l’encépagement de certaines parcelles, tout en blanc ou tout en rouge. C’était toujours du surgreffage de vignes franches de pied.

R&B Jusqu’au moment où le phylloxera a changé la donne…

M.B. : Le monde entier s’est mis à greffer des “Vitis vinifera” sur des porte-greffes américains immunisés contre le phylloxera. Pourtant lors de la crise phylloxérique, qui a commencé en 1863, deux écoles se sont déchirées. D’un côté ceux qu’on appelait les “sulfateurs” qui voulaient continuer à planter des vignes franches de pied et essayer de traiter le puceron avec des produits, sans doute assez violents. Je crois cependant que ça aurait été la bonne solution. De l’autre côté, il y avait les “américanistes”, favorables aux porte-greffes, qui étaient essentiellement des professeurs de la faculté de pharmacie de Montpellier. La bagarre a duré plusieurs décennies. En 1908, Lucien Daniel, professeur de botanique à Rennes, spécialiste des greffes, a été missionné par le ministère de l’Agriculture pour chercher des solutions à la crise phylloxérique. Bien qu’il ait été lui-même greffeur, il a recommandé d’étudier de près la question de la greffe, d’en pousser l’expérimentation et de ne pas la généraliser sans en évaluer les conséquences. Il estimait que celles-ci risquaient d’être terribles. Il prédisait qu’on allait au-devant de problèmes de mortalité des plants, qu’on allait devoir renforcer les traitements phytosanitaires. Cent ans plus tard, on peut dire qu’il avait vu juste. Mais il a été écarté. Ce sont une fois de plus les “experts” de Montpellier qui ont gagné. 

R&B Pensez-vous vraiment qu’on aurait pu éradiquer le phylloxera ?

M.B. : C’est un insecte dont une phase de vie se déroule sur le feuillage. Il y aurait peut-être eu un moyen de le “taper” à ce moment-là avec un traitement chimique. Aujourd’hui, ça reste une piste intéressante.

R&B En existe-t-il d’autres ?

M.B. : Le président de l’Institut de Recherches Agronomiques (Inra) de Colmar, Philippe Chrétien Oberlin, avait remarqué que, à modalité identique, l’insecte faisait moins de dégâts sur les vignes hautes treille ou en pergola. Avant le phylloxera, les écrits en témoignent, l’espérance de vie d’une vigne franche de pied était de 250 à 300 ans. Pour des vignes greffées à la main par nos grands-pères, elle était de 100 ans. Aujourd’hui on en est à 25/30 ans pour certains cépages ! Lors d’un récent voyage en Campanie, on m’a montré des ceps de 300 ans, francs de pied, conduits en pergola. À Santorin (NdlR : une île de Grèce réputée pour ses vins blancs issus du cépage assyrtiko), les vignes en nid d’oiseau, jamais taillées et centenaires sont incroyables. Ce ne sont peut-être pas des solutions absolues mais elles dessinent d’autres pistes que la généralisation du greffage et elles auraient peut-être mérité d’être étudiées. En fait, le phylloxéra était une telle catastrophe pour la viticulture, qu’on a voulu politiquement rassurer très vite le monde viticole avec une solution toute trouvée.

R&B Et ça a fonctionné…

M.B. : Je ne suis pas convaincu. En greffant tout, on a multiplié les plants fragiles. La vigne n’a pas eu les moyens de se rendre naturellement résistante. Si on avait “supporté” le phylloxera, on aurait sans doute perdu une grande partie des vignes mais, petit à petit, on aurait trouvé des plants qui seraient aujourd’hui naturellement résistants. Avec mon copain pépiniériste, Lillian Bérillon, nous nous sommes d’ailleurs dit que nous devrions monter une association pour récupérer de vieilles souches qui ont résisté au phylloxera dans tous les vignobles où nous voyageons. Je suis en train de sonder les vignerons. Mais, souvent, ceux qui en ont veulent se les garder. J’ai vu des pieds de merlot de 130 ans à Bordeaux, mais on m’a répondu : « On s’est assez foutu de nous ! On se les garde. » L’idée serait de créer un conservatoire de plants naturellement résistants. Car la conséquence du greffage a été de multiplier les plants fragiles. 

R&B Certains essaient pourtant de réimplanter des vignes franches de pied…

M.B. : Oui mais ils vont au casse-pipe. Pour info, dans une parcelle isolée, dans les bois, je me suis amusé à planter 300 pieds d’une quinzaine de porte-greffes différents non greffés. Une semaine après j’avais de la gale phylloxérique sur certains ceps : la forme aérienne. En fait, j’ai introduit le phylloxéra dans cette parcelle. Donc on l’importe avec les porte-greffes.

Retrouvez l'intégralité de l'article dans notre cahier technique ou dans notre numéro 119

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