LeRouge&leBlanc n°134

La revue

N° 134
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Patrimonio, patrimoine d'excellence

Patrimonio, patrimoine d'excellence

Terrasses du Larzac, au sommet du Languedoc

Interview Christian Brault, l'art de la mise en bouteille

  • Domaine Lapeyre-Guilhemas (Béarn)
  • Domaine de Pichon (Buzet)
  • Domaine Deodatus (Madiran) 
  • Pequenos Rebentos (vinho verde - Portugal)
  • Domaine Xubialdea (Irouléguy)
  • Mas Pégaline (Pic-Saint-Loup) 
56 pages
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Extrait de la revue

Les mirages de l’irrigation

L’été 2019 aura été particulièrement chaud. Deux canicules en juin et juillet (et de fortes chaleurs en août) ont affecté une grande partie du vignoble. Le sud de la France a subi en juin l’épisode le plus marquant par l’amplitude et l’étendue des dégâts : dans l’Hérault, 7800 hectares ont perdu de 20 à 100 % des raisins.

À l’issue du recensement des dommages, il semblerait qu’une bonne partie des vignes irriguées ait été davantage épargnée, en particulier celles qui ont pu bénéficier d’une micro-irrigation régulière et très fractionnée. L’eau ainsi distribuée a surtout contribué à diminuer les symptômes de stress thermique par évaporation, en maintenant un microclimat plus frais. Ce constat a ouvert la brèche pour relancer le débat sur l’irrigation dans laquelle ses fervents défenseurs n’ont pas manqué de se glisser.

Selon ses partisans, elle est la panacée contre la sécheresse et pour l’augmentation des rendements, voire la diminution de la pression des maladies. Et surtout, elle serait la solution-miracle pour le maintien de la viticulture dans une région fortement perturbée par les changements climatiques. Certains vont jusqu’à dire que « l’eau a le pouvoir de sauver la vigne ! », mais omettent de préciser que, lors de l’épisode caniculaire de juin, les plantes les plus touchées étaient les jeunes vignes irriguées sur des sols non travaillés et pauvres en matières organiques. Un pouvoir salvateur pour le moins sélectif donc…

L’irrigation est déjà autorisée en France, dans certaines appellations, mais de manière très encadrée et limitée dans le temps. Les pro-irrigation souhaitent, eux, étendre l’autorisation à la fois géographiquement et temporellement. On ne s’étonnera pas de voir parmi eux une majorité de viticulteurs produisant des vins à de gros rendements. En effet, cette pratique présente de sérieux avantages pour sécuriser une production standardisée d’entrée de gamme, en garantissant de gros volumes avec une qualité minimale.

En revanche, l’irrigation comporte de sérieux risques pour la vigne, les sols, l’environnement et les ressources en eau. Apporter de l’eau en surface n’incite pas la vigne à plonger ses racines pour s’alimenter et, par conséquent, la fragilise. Ce phénomène est encore accentué par les installations qui permettent de coupler irrigation et fertilisation. Il faut aussi prendre en compte la difficulté de travailler les sols en présence d’un système d’irrigation par goutte à goutte, le plus utilisé en viticulture. On imagine aisément que ce type d’installation n’incite pas les vignerons à désherber mécaniquement. On connaît malheureusement les désastres causés par l’association entre engrais chimiques et désherbants sur la qualité des sols.

Les tenants de l’irrigation oublient également d’évoquer son implication dans la salinisation des sols, de la vigne – les racines, en particulier – et… des vins, avec la présence notamment de sodium dans les jus, mais également des eaux souterraines. Or, la présence de sodium dans les vins est limitée par la réglementation européenne et l’OIV (Organisation Internationale de la Vigne et du Vin). Le vignoble australien qui a massivement recourt à l’irrigation est d’ailleurs confronté à ce problème (voir à ce sujet la thèse de Diane Stewart de l’université d’Adélaïde). Elle participe aussi à la dégradation de la fertilité et de la structure des sols. Enfin, n’oublions pas que les ressources en eau subissent une pression croissante et se raréfient. L’agriculture, dont seulement 6% des surfaces sont irriguées, représente déjà 48 % de la consommation (eau non restituée au milieu naturel), loin devant l’industrie et la production d’énergie (28 %) et les usages domestiques (24 %) selon les chiffres publiés par le ministère chargé de l’Écologie en 2011. L’augmentation des demandes d’irrigation ne fera qu’accroître la pression exercée sur les réserves hydriques, dont une diminution trop importante entraîne des phénomènes de désertification.

L’irrigation n’est pas la seule solution face au changement climatique. D’autres stratégies d’adaptation existent, moins périlleuses pour l’environnement et plus durables. Des pistes comme une meilleure compréhension des processus physiologiques impliqués dans la réponse de la vigne à la sécheresse, le choix d’un matériel végétal mieux adapté, des pratiques culturales qui diminuent les contraintes hydriques méritent d’être explorées.

L’irrigation ne représente donc, au mieux, qu’une solution à court terme pour une viticulture « intensive », mais à quel prix ?

SONIA LOPEZ CALLEJA