LeRouge&leBlanc n°140

La revue

N° 140
17 €
13 €

Filles et fils de... dans le Beaujolais

Filles et fils ... dans le Beaujolais 

À la rencontre de Claude, Lydia et Emmanuel Bourguignon

Cornalin et Humagne rouge : deux cépages suisses à découvrir

  • Chateau Doyac (Haut Médoc)
  • Terre de l'Elu (Vin de France - Anjou)
  • Domaine de Bablut (Coteaux-de-l'Aubance)
48 pages
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Extrait de la revue

Les inconstances de la nature

En janvier, Le Rouge & Le Blanc s’est immergé aux sources du vin “nature” français, dans le Beaujolais. Là, entre Villié-Morgon et Fleurie, dans les années 1980, Marcel Lapierre, dit The Stone, disparu en 2010, et ses jeunes compagnons du “Club des Cinq” : Le Chat (alias Jean-Claude Chanudet), P’tit Jean (Jean Foillard), Polpo (Jean-Paul Thévenet), et P’tit Max (Guy Breton), guidés par Jacques Néauport (ami et disciple de Jules Chauvet), ont amorcé un mouvement novateur qui stimule toujours le monde du vin. L’idée initiale était simple : remettre le raisin au cœur du vin après une génération de chimie dominante à la vigne et au chai. Aujourd’hui, les disciples de leur méthode, exigeante et précise, se comptent par milliers dans les vignobles du monde entier et les vins “naturels” sont plébiscités par de plus en plus d’amateurs.

Ces rénovateurs ont si bien réussi que, dans un Beaujolais où les vins de masse restent en carafe et où les domaines qui ne se sont pas remis en question crèvent à petit feu, ils ont donné à leurs enfants les moyens de poursuivre leur tâche au sein d’exploitations en fort bonne santé. Pourtant, tout au long de notre périple en Beaujolais, nous avons entendu un son de cloche dérangeant. Malgré leur succès et le succès de la révolution qu’ils ont initiée, ni ces pionniers ni leurs enfants ne souhaitent plus être estampillés “vin nature”. Ce souhait rejoint celui d’autres vignerons croisés en d’autres lieux de France et d’Italie, agacés que l’on soupçonne leurs vins de ne pas être naturels parce qu’ils sont sans déviances.

« Quand on me demande si je fais des vins “nature”, s’agaçait Jean-Claude Chanudet à Fleurie, je réponds que je fais du vin de façon naturelle. Nous qui essayons d’élaborer des vins sans défauts, nous voilà maintenant parfois accusés d’abuser de la chimie, simplement parce que nos vins n’ont pas de faux goûts. Ça fait ch… ! » Ça a encore un peu plus fait ch… les enfants de Marcel Lapierre, Mathieu et Camille, d’apprendre, par la bande, qu’un de leurs confrères et néanmoins ennemi, avait récemment donné une de leurs bouteilles à analyser en laboratoire dans le vain espoir d’y déceler des traces de chimie pas très naturelle…

Car, comme dans tout mouvement novateur, des convertis récents se sont mués en apôtres intransigeants, seuls détenteurs prétendus des bonnes pratiques. Les pionniers faisaient “naturel” ? Eh bien, désormais leurs disciples les plus intraitables, et pas toujours les plus talentueux, font plus “nature” encore. Surnaturel parfois. Comme si la recherche du naturel, au lieu d’être un moyen d’élaborer des bons vins, devenait la quête absolue, la seule raison d’être et de faire. Au point de négliger la qualité organoleptique du breuvage produit. Au point que l’absence de déviances en devient suspecte aux yeux de ces néo-intégristes. Comme si un vin ne pouvait pas être à la fois naturel et sans déviances. Comme si Marcel Lapierre et ses amis n’avaient rien compris au vin naturel qu’ils ont eu pourtant la bonne idée d’inventer.

 

Malheureusement pour eux, les croisés de la nature dans toute sa pureté inconditionnelle ne se rendent pas compte des dégâts commis par leur intransigeance de principe et par leur complaisance envers les résultats. En élaborant des breuvages au goût douteux, ils donnent raison à tous les détracteurs du vin “au naturel.” Pourtant, grâce à Marcel Lapierre et aux vignerons de tous les vignobles du monde qui ont suivi son exemple, nombre de caves personnelles, au R&B comme chez nos lecteurs, regorgent de flacons à la fois naturels et sans déviances. À la bonne vôtre !

Philippe Bouin