Un gel début avril n’est pas un phénomène climatique rare ou surprenant. En avril 2021, l'avancement de la végétation l'était beaucoup plus. Lié au dérèglement climatique, c’est une donnée durable que les vignerons vont devoir prendre en compte dans leurs pratiques culturales.
Heureusement, au-delà des larmes et des lamentations, il existe diverses méthodes (en dehors des bougies et autres hélicoptères très peu écologiques…) pour limiter les conséquences mortifères de ces gelées à répétition.
À court terme, tout le monde s’accorde sur l’importance de la date de la taille et la façon de la conduire. L’idée est à la fois de rehausser les bourgeons et d’empêcher, si possible, qu’ils n’apparaissent avant les gelées. Par exemple, l’I.V.V. (Institut de la Vigne et du Vin) a proposé à Claire Naudin, vigneronne en Bourgogne, d’expérimenter la “taille tardive” : au lieu de la commencer en plein hiver (à part la prétaille des plus gros bois), on la programme fin avril, quand le plus gros des gelées est passé et on laisse des branches très hautes. Ainsi, avant la taille, les bourgeons débourrés, sensibles au gel à -2°C ou -3°C, n’apparaissent qu’en haut (où les températures sont moins froides) et on garde, plus proches du sol, des bourgeons non débourrés, encore enfermés dans leurs écailles, qui résistent jusqu’à -6°C, -7°C.
À moyen terme, on ne fera pas l’économie d’une réflexion sur les cépages hybrides. Dans un texte publié après un nouveau gel dévastateur, Valentin Morel, vigneron du Jura, a fait part de son expérience sur la question. Selon ses propres observations, les cépages résistants ou dits “interspécifiques” (inexactement appelés hybrides) engendrent de nombreux espoirs en même temps qu’ils suscitent des questions. Outre qu’ils résistent aux principaux champignons (ne nécessitant donc aucun traitement) et virus qui frappent Vitis vinifera, ils possèdent également l’atout de mieux résister au gel. Ils gèlent aussi, mais, lors de la repousse qui suit, ils sont capables de produire de nouveaux fruits, contrairement à Vitis vinifera. Le sujet est un peu tabou, car beaucoup assimilent, à tort, ces hybrides à des O.G.M. Inclure aujourd’hui 25% d’hybrides dans son vignoble pourrait être une forme d’assurance antigel.
Enfin, il faudra bien se poser la question des impacts de la monoculture de la vigne et celle de la réhabilitation de l’agroforesterie (voir notre article p. 42). Catherine Bernard, vigneronne dans le Languedoc, s’en est émue dans un texte publié en avril dernier. Elle rappelle que, depuis plus d’un siècle, la vigne est seule dans ses parcelles, sans arbres ni arbustes, glyphosatée, sans culture intercalaire, sans cochons ni poules, bientôt sans oiseaux ni insectes. Le vignoble a mangé et continue de manger des terres qui avaient, ici vocation à accueillir des céréales, là des légumes, ici et là un troupeau. Les vignerons sont devenus les complices de cette monoculture qui met à mal les défenses immunitaires de la vigne.
Laissons la conclusion à un vigneron bourguignon : « Tous les vignerons sont un peu désarmés face à ce qui leur arrive parce qu’ils ont généré leurs blocages et leur inadaptation au milieu et à la Nature. Malheureusement, les responsables des appellations ont fossilisé les méthodes, les cahiers des charges, bloqué l’adaptation agronomique. Si vous laissez les vignerons face à leurs contraintes, ils seront comme les apex de la vigne, ils trouveront par leur intelligence source à s’adapter. À l’inverse, actuellement nous sommes tous palissés, endormis, inhibés. »
Encore une fois, les solutions viendront des réponses concrètes qui auront été développées par les vignerons sur le terrain, avec l’appui, on l’espère, des autorités françaises qui devraient davantage soutenir et promouvoir les nécessaires évolutions agroécologiques.