Des goûts
et des couleurs...
Il faut se méfier de la sagesse supposée des adages. Comme beaucoup de prétendus savoirs traditionnels, ils expriment bien souvent autant les préjugés que la sagesse. Ainsi : « Des goûts et des couleurs on ne discute pas » que l’existence du Rouge & Le Blanc contredit avec éloquence. L’actualité de notre magazine prouve même que, non seulement il est bel et bon de se poser des questions sur le goût des choses en général, et du vin en particulier, mais aussi que notre approche de ce sujet est demeurée constante au fil de notre existence longue de bientôt quarante ans.
Il suffira aux lecteurs pour s’en convaincre de consulter un exemplaire du livre d’entretiens avec Jacques Néauport que nous venons de publier (Jacques Néauport, Le dilettante, en vente sur notre site : www. lerougeetleblanc.com).
Jacques Néauport est le tout premier œnologue disciple de Jules Chauvet à avoir porté la bonne parole des vinifications sans soufre en France et autres lieux dans les années 70-80. Compagnon de Marcel Lapierre et de ses collègues vignerons aventuriers du Beaujolais, il a mis en pratique les théories du professeur Chauvet pour introduire à la fois plus de naturel et plus de science (non, ce n’est pas incompatible) dans les chais. Lectrices et lecteurs de ces entretiens apprendront beaucoup sur la genèse du mouvement des vins “nature” et sur les principes régissant leur confection, principes toujours valables et largement appliqués de nos jours.
Cet esprit de curiosité, d’innovation et de recherche du naturel anime aussi les vignerons italiens du Frioul auxquels nous consacrons un long sujet ce trimestre (p. 26). Eux aussi, dans les années 90, ont réinventé leurs vins, en abandonnant les cépages internationaux pour revenir aux plants autochtones, et en se lançant dans des vinifications originales des vins blancs après de longues macération des peaux. Ils produisent aujourd’hui des vins en majorité splendides et font naître tout un univers d’arômes et de saveurs. Pour être tout à fait honnête, cet univers peut paraître parfois déroutant à certains dégustateurs au goût plus classique. Ces vins perturbants semblent par moments “non conformes” alors qu’ils sont tout simplement “vivants”. Une bonne aération et un long carafage permettent d’apprécier ces cuvées qui ne se livrent parfois pas tout de suite. Surtout ne pas confondre les vins “vivants”, parfois difficiles à aborder, et les vins tout simplement “déviants”.
Nous passerons le relais à Jacques Néauport pour conclure : « Le truc des œnologues, c’est de traquer les défauts, mais la qualité, ils ne savent pas ce que c’est », assure-t-il dans Jacques Néauport, Le dilettante. « L’exemple même est arrivé à un vigneron avec qui je travaille. Une année, il a fait peut-être le plus beau chardonnay de sa carrière. (…) Il l’a apporté à un laboratoire d’œnologie pour analyse, et pour seul commentaire, ils ont écrit : “ce vin ne présente pas de manquement”. Cette histoire résume toute l’œnologie moderne : il n’y a aucun manquement. »
Eh bien ! comme Jacques Néauport et ses “conseillés”, Le Rouge & Le Blanc préfère se consacrer à la recherche de la qualité, la vraie, faite de sincérité, de savoir et d’humilité, quels que soient les goûts et les couleurs.
LeRouge&leBlanc