LeRouge&leBlanc n°146

La revue

N° 146
17 €
13 €

Peut-on produire des grands blancs dans le Rhône sud ?

Enquête/dégustation : Peut-on produire des grands blancs dans le Rhône sud ?

A.O.P. Fitou : L'attachante doyenne du Languedoc

Domiane Tempier : Une famille, une histoire, une référence

Journal des vignes 3ème épisode : L'attente angoissée des vendanges

Une journée avec... Duo Oenologie 

  • Domaine des Rouges Queues (Maranges)
  • Domaine Ruppert-Leroy (Champagne)
  • Chateau Cazebonne (Graves)
52 pages
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Extrait de la revue

Libérez nos vieux cépages !

Mise sur des charbons ardents par le dérèglement climatique et par la canicule de l’été 2022, la planète vin s’affole. La hausse des températures et, plus encore, la chute de la pluviosité menacent vignes et vins, cuits par la sécheresse. Les alertes se multiplient : certaines A.O.C. du sud de la France seraient, dit-on, en grand danger de perdre des terroirs autrefois réputés mais devenus incapables de produire des vins fins.

Alors on s’agite ; on multiplie les initiatives. Faut-il autoriser l’irrigation ? Le coupage des vins à l’eau distillée ? Implanter des cépages italiens, espagnols … géorgiens ? Et pourquoi pas des hybrides ? Gageons que d’autres pistes, toutes plus novatrices les unes que les autres, seront bientôt empruntées.

Il en est une, pourtant assez facile à suivre, dont on n’entend pas assez parler : le retour vers le passé.

Nos reportages sur les grands blancs du Rhône Sud, ou sur l’A.O.C. Fitou publiés dans ce numéro - venant après nos dossiers sur le carignan (R&B n°137), ou sur l’irrigation (R&B n°145) - nous en ont convaincus : il existe dans le sud de la France des cépages qui, sans être tous de vrais autochtones, se sont assez bien adaptés au fil des siècles à son climat et à ses terroirs pour produire de bons vins, même par forte chaleur ou grande sécheresse. Ils ont pour noms cinsault, carignan, mais aussi counoise, terret noir, muscardin ou picpoul noir pour les rouges, et bourboulenc ou picpoul blanc pour les blancs et la liste n’est pas close. Leurs ceps étaient encore nombreux il y a un demi-siècle, puis ils ont disparu de nos terres au cours des trente dernières années du XXe siècle, chassés par la récupération de la notion d’AOC par l’agriculture productiviste et par l’utilisation des cahiers des charges comme bras armés de l’uniformisation des pratiques.

Dans ces années où le climat n’était pas aussi chaleureux qu’aujourd’hui, il s’agissait de « faire du degré et de la couleur ». Or en années froides et avec les hauts rendements pratiqués à l’époque… ces pauvres hères de cépages “avé l’accent” ne produisaient ni l’un, ni l’autre. Maltraités, ils peinaient souvent à atteindre les 10° quand on les poussait aux rendements exigés. On les relégua alors au rôle de cépages “secondaires” voire “accessoires”, et l’on promut syrah et mourvèdre au rang de “cépages améliorateurs”, stimulant leur plantation en masse. À ce jeu de “pousse-toi de là que je m’y plante” la syrah remporta la palme : elle occupe aujourd’hui près de 65 000 ha en France et elle est le deuxième cépage le plus planté, après le grenache, dans le sud de la France. Pourtant, originaire du nord de la vallée du Rhône, plus frais, elle est de moins en moins bien adaptée aux terroirs du Sud : elle fait tout “trop”, trop de couleur et de degrés ; elle souffre vite de la sécheresse, et la dégénérescence, qui la frappe dans de nombreux vignobles, compromet sa durée de vie, donc sa capacité à produire des vins de qualité.

Cette promotion de la syrah dans le Sud correspondait parfaitement à l’esprit viticole du début de la deuxième moitié du XXe siècle : produire une qualité apparente (couleur + alcool) à peu de frais. L’époque était encore celle du vin boisson qui tâche et qui saoule. Nous n’en sommes plus là. Les vins du Sud n’ont besoin ni de degrés, ni de couleur, mais de fraîcheur et de fruit, qualités que les livres d’ampélographie et les anciens se plaisent à accorder au cinsault et à ses compères sudistes oubliés. Alors, sans pour autant abandonner toutes les autres pistes, il est temps de demander avec force à l’Inao de revoir en urgence les critères d’encépagement de toutes les A.O.C. du Sud et d’autoriser leurs vignerons à puiser selon leur bon vouloir dans une large liste de cépages “méridionaux” pour élaborer leurs vins et laisser ensuite les terroirs parler.

Une appellation du Sud fonctionne de cette manière depuis près d’un siècle : les vignerons peuvent y choisir, en toute liberté, dans un catalogue de dix-huit cépages différents. Elle est d’ailleurs la plus ancienne A.O.C. de France, éclose en 1936 : Châteauneuf-du-Pape. Ce n’est ni la plus mauvaise, ni la moins typée, ni la plus mal valorisée.

Philippe Bouin