Intrants ou intrus ?
En envoyant, fin décembre dernier, un mail à l’ensemble des vignerons participant au salon La Dive Bouteille qu’elle organise depuis 2002, Sylvie Augereau se doutait qu’elle risquait de déclencher une polémique dans le milieu toujours en effervescence du vin “nature”. Avec son sens de la formule qui fait mouche, elle mettait en effet en garde les vignerons invités : « Merci encore de garder vos cuvées un peu trop barrées à la maison, pour ceux qui croient que les vins vivants c’est forcément déviant… On n’est vraiment pas là pour alimenter ce discours dangereux. Il y a des intrants qu’on préfère à certains intrus ! » Par “intrus”, comprendre déviations phénolées (bretts), goût de souris, acidité volatile excessive et compagnie…
Cette gentille provocation a mis en émoi le petit monde des “puristes” du vin “nature”. Ainsi, l’un de ses gourous habituels, qui avoue « préférer les vins en zigzag que les vins droits », a réagi sur les réseaux sociaux : « Doit-on viser systématiquement le zéro intrant et prendre le risque que le vin soit parfois complètement barré ? Ou faut-il déployer un fin filet de protection pour s’assurer qu’aucun défaut rédhibitoire ne surgisse dans le verre ? L’écueil alors serait certainement que le sulfitage devienne un standard et que l’idéal du vin naturel (du raisin et rien que du raisin) s’éloigne. »
Reposant sur ce seul idéal, la dégustation deviendrait alors plus la mise en pratique d’une idéologie qu’une affaire de goût, une dérive dangereuse. L’important ne serait plus que le vin soit “loyal et marchand” comme on le disait autrefois, mais sans aucun intrant et surtout sans le moindre milligramme de soufre ajouté… Quitte à ce qu’il sente l’écurie et présente des caractéristiques gustatives nettement déviantes. Les ayatollahs du sans soufre évoquent à tout moment une “pureté” idéalisée du vin. Comme l’a écrit fort justement Paco Mora, le caviste d’Ivry en région parisienne, quand on évoque la “pureté” à tout propos, cela fait toujours un peu froid dans le dos…
Car la question centrale, celle qu’a voulu mettre en exergue Sylvie Augereau, plus que celle du soufre seulement, c’est la qualité intrinsèque du vin et sa “consommabilité” : le vin est une boisson, pas un concept religieux de la “pureté” vinique. L’organisatrice de la Dive souhaite que l’on sorte de l’équivalence “vin sans intrant = vin déviant”, soigneusement entretenue par les extrémistes du vin “nature”. Éviter à tout prix qu’un vigneron puisse dire : « Si mon vin présente quelques défauts, c’est qu’il est authentiquement “nature”. » Sous-entendu, ceux qui n’en n’ont pas ne peuvent pas l’être… Ce procès d’intention qui agace prodigieusement tous les vignerons qui s’efforcent, avec une rigueur absolue à toutes les étapes, de produire des vins “nickels” sans soufre ou avec des doses ridicules de SO2, des vignerons qui, la plupart, se retrouvent dans les allées de La Dive Bouteille… Remarquons au passage que même les dégustateurs les plus aguerris sont incapables de déceler une dose totale de soufre inférieure à 20 mg/l.
Au moment où les évolutions climatiques compliquent régulièrement les fermentations alcooliques (cf. notre chronique “Journal de Vigne” p.38), particulièrement celles qui se déroulent sans soufre, faut-il vraiment vilipender les vignerons qui proposent des vins “naturels, mais droits” et porter aux nues ceux qui vendent des cuvées aux saveurs plus que douteuses à des gogos en extase devant leur “pureté” ?
Comme Sylvie Augereau, entre intrus et intrants, notre choix est vite fait…
LE ROUGE & LE BLANC