Portraits

À LA RENCONTRE DU... DOMAINE CHASSELAY

"Beaujos” en famille
"Beaujos” en famille
BOURGOGNE > BEAUJOLAIS > DOMAINE CHASSELAY

Lors de nos dégustations des beaujolais blancs (R&B n°117), nous avions repéré la qualité des vins du domaine Chasselay. Après deux visites sur le terrain et une dégustation en comité de l’ensemble de la gamme en présence des vignerons, LeRouge&leBlanc vous fait partager aujourd’hui l’histoire de ce domaine.

Depuis 1745 (un acte notarié l’atteste) la famille Chasselay vit et produit du vin sur la commune de Châtillon-d’Azergues. Aujourd’hui, la dix-septième génération s’apprête à reprendre le flambeau. Sous le règne de Marc, le grand-père des vignerons actuels, le domaine était déjà voué entièrement à la viticulture. À l’époque, le vin se vendait aux négociants, alors tout puissants. La production de la belle parcelle familiale des Grands Éparcieux (le mot désigne localement la vesce, une plante fourragère qui sert également d’engrais vert) était également vendue au négoce qui la mettait en bouteille sous l’étiquette « Éparcieux » sans donner un centime de plus aux Chasselay. En 1978, Jean-Gilles, le fils de Marc, rebelle depuis toujours, finit par se fâcher, décide de mettre cette cuvée en bouteille et la vend directement. En 1981, il s’associe en GAEC (Groupement agricole d’exploitation en commun) avec Marc, son père.

Vigneron en Beaujolais, un métier pas si facile

À partir de 1991commence une période difficile, car le beaujolais se vend alors à 80 % en vrac au négoce, et vendre en bouteille reste un pari risqué. En 2002, Jean-Gilles connaît même des problèmes financiers dus à une mauvaise récolte et Christiane, son épouse, reprend un travail en dehors du domaine. Dans les années 2000, quatre cuvées, dont déjà un peu de beaujolais blanc, sont proposées à la clientèle. Le domaine est certifié Terra Vitis depuis 1999 alors que Jean-Gilles travaillait déjà en culture biologique non déclarée : il labourait les sols et n’utilisait plus de désherbants. Il passera en culture biologique certifiée en 2006.

Claire et Fabien, les deux enfants de la famille, qui sont aujourd’hui aux commandes, entrent en scène au domaine en 2008 même si, gamins, ils donnaient déjà un coup de main pour tirer les fils dans les vignes, vendanger, et qu’ils participaient aux tâches dans le chai. Claire, diplômes viti-oeno et de commerce des vins en poche, a travaillé dans le Beaujolais, la Côte chalonnaise (Mercurey), le Mâconnais (Igé) et dans le commerce du vin à Paris et en Irlande. Fabien, avec un bagage identique, a travaillé à Châteauneuf-du-Pape (Stéphane Usseglio), en Bourgogne (Bruno Clavelier) et en Australie (comté de Victoria, sur les vins fortifiés du domaine All Saints).

Coup de fouet

Henri-Noël Lagrandeur

L’arrivée des enfants au domaine donne un coup de fouet, et la qualité des vins monte de plusieurs crans. Ils s’équipent par exemple d’un laboratoire avec tout le matériel pour maîtriser la récolte du début à la fin en mesurant l’acidité totale ainsi que le taux de sucre et d’alcool. Et le domaine dispose même d’un microscope spécial pour étudier les levures indigènes. Dans la famille Chasselay, tous les membres sont interchangeables à tous les postes, même si Fabien et son père sont habituellement préposés au griffage des sols, même si Fabienne aime vinifier à la cave avec son frère et même si Christiane s’occupe surtout des papiers au bureau. « Au moment des vendanges, explique Fabien, nous dirigeons cinquante personnes. Nous avons peu de cépages et ils mûrissent pratiquement en même temps. On rentre treize tonnes par jour pour emplir nos cuves de 72 hl. »

Le fût en vedette

Fabien est partisan des vinifications et des élevages en fûts pour que le vin respire, sauf pour le beaujolais primeur et la cuvée de beaujolais de printemps Les quatre saisons (vin de soif et de copains). Les vins s’épanouissent lentement. Fabien précise : « Les vins ont besoin d’autant de temps en bouteille qu’en élevage. Nous ne disposons que d’un seul cépage pour nos beaujolais, il faut qu’on laisse le terroir s’exprimer. Suivant les cuvées, les vins restent de huit mois à deux ans en fûts. » La dégustation guide toute l’élaboration des vins, de la fermentation à la mise en bouteille, en passant par la durée de l’élevage. Les grandes cuvées sont vinifiées à la bourguignonne, 80 % de raisins égrappés, le reste en grappes entières. Le Beaujolais appartenant à la Bourgogne, les Chasselay ont planté en 2008 du pinot noir dans la parcelle des Éparcieux, une sélection massale provenant de Vosne-Romanée, taillée en Guyot simple. Ce vin, élevé onze mois en fûts (dont 15 à 20 % de fûts neufs), se vend rapidement car il est très apprécié. Les vignes de la propriété occupent 12 ha et Claire et Fabien achètent l’équivalent de 8 à 12 ha de raisins dans différents crus du Beaujolais à des vignerons bio qu’ils connaissent, dont ils aiment les vins et qui travaillent comme eux. Notre comité a apprécié la complexité des vins du domaine, tant au nez qu’en bouche, leur droiture, leur chair et leur caractère affirmé. On ne peut qu’aimer cette famille soudée qui met tout en œuvre pour que les vins soient réussis. JeanGilles, le pater familias, pourrait en être l’archétype : casquette vissée sur le crâne, bonne tête de vigneron-rebelle du Beaujolais aimant trinquer et faire la fête, et il semble bien que Fabien soit de la même trempe. Les dames, plus réservées, s’affairent : Fabienne tient parmi les meilleures chambres d’hôtes de la région et sa maman paraît superviser avec brio tous les problèmes de commandes et la paperasse administrative. Haut les verres et longue vie aux Chasselay !

Ma feuille vineuse

Les films tirés des œuvres de René Fallet n’ont jamais vraiment reflété l’esprit de ses livres. Son roman le plus connu, Le beaujolais nouveau est arrivé, ne manque pas de piquant et illustre assez l’esprit qui anime les Chasselay : « Ils (…) burent ce beaujolais nouveau qui les maintenait très exactement euphoriques, en un menu bonheur qu’ils savaient calibrer au verre près, ne s’autorisant l’overdose que par exception ou par distraction. Ils n’étaient pas de ces buveurs tragiques parce que solitaires ou suicidaires à tempérament. Ils riaient, et si par malencontre l’un d’eux prenait le voile, les trois autres le ramenaient à la surface. » Et chez eux, il n’y a pas que le beaujolais nouveau, il y a aussi de grands crus !

Dégustation

Claire et Fabien Chasselay sont venus dans nos locaux présenter une sélection de leurs vins début décembre 2016. Ils ont choisi l’ordre et les cuvées. Les informations sur les cuvées ont été données par les vignerons au moment du service.

Les rouges

Beaujolais

La Platière 1996

Il s’agit de la parcelle emblématique du domaine, exposée plein sud. 67 ares sur Theizé (à 7 km de Châtillond’Azergues) sur un terroir argilo-calcaire avec de gros cailloux qui émergent parfois et que l’on doit casser. Vignes de 60 ans en 1996 mais actuellement 50 ans de moyenne avec une partie plantée en 2014. « Nous cherchons dans chaque parcelle un équilibre entre jeunes et vieilles vignes » précise Claire. Taille : cordon de Royat et Guyot simple. 1996 : premier millésime de cette cuvée. Cuvaison de 15 jours avec un remontage le matin et des pigeages si le besoin s’en fait sentir : c’est toujours la dégustation qui décide. Les vins fermentent et sont élevés en fûts (15 % de fûts neufs). « On ajoute un peu de soufre à la mise en bouteille, en juillet ou en août. Pour le beaujolais primeur et la cuvée de printemps “Les quatre saisons”, nous ne mettons pas de soufre et ils sont vinifiés en macération carbonique. Les vins de ces deux cuvées sont élevés en cuves béton » nous confie Claire. Elle ajoute : « Nous surveillons le sucre et la température en évitant de dépasser les 17/18° ».

Au nez, des notes fumées, d’humus, de griottes, de chocolat noir et de fleurs fanées. En bouche, de la tension et de la vivacité amenées par l’acidité qui équilibrent bien le vin. Finale légèrement sèche pour certains dégustateurs mais surtout de la minéralité et des pointes de vieux cuir et de kirsch qui font penser à un bourgogne. Au final, un joli vin possédant de la tenue, de l’élégance et un côté salivant.

Beaujolais

La Platière 2003

Vendangé du 24 au 29 août. 27 hl/ha. Période de canicule. « On avait du mal à trouver des vendangeurs en août. »

Nez frais et complexe évoquant des fruits légèrement confiturés (framboise, pêche). Bouche massive et puissante due à la belle maturité des raisins. Une certaine sucrosité apparait en milieu de bouche. Un vin riche, gourmand avec des tannins assez présents.

Beaujolais

La Platière 2005

Vinification lente et difficile. Beaucoup de matière sèche. Millésime puissant, rustique et austère.

Nez mentholé, marqué aussi par les fruits rouges et le graphite. Bouche un peu rustique et austère, mais avec une matière intéressante. Un vin salin, tendu, cependant un peu sec en finale.

Beaujolais

La Platière 2007

Millésime léger.

Nez assez discret sur les fruits rouges, la pivoine, la menthe et le poivre. La bouche est large, dense, friande avec une belle structure. On croque le raisin. Un vin juteux et gourmand qui finit sur des petits tanins sympathiques.

Beaujolais

La Platière 2015

Millésime difficile à vinifier car beaucoup de matière et degré d’alcool élevé. L’extraction se fait très vite. Pas de pigeage. “On intervenait très peu, en arrosant simplement le chapeau cinq minutes par jour”. Vendange égrappée, vinifiée à la bourguignonne et élevée en fûts dont 30 % de neufs. Le nez explose avec élégance sur des fruits croquants (groseille, pêche de vigne, framboise) et des épices.

La bouche surprend par la qualité de son jus, sa densité, son soyeux et son équilibre. Le vin, merveilleux reflet d’un terroir, a fait l’unanimité de notre comité tant il affirme sa plénitude et sa classe.

Fleurie

2015

Achat de raisins à un célèbre et talentueux vigneron de Fleurie. Correspond à 0,9 ha sur la parcelle La Chapelle des Bois. Vignes de cinquante ans en moyenne, taillées en gobelet. Terroir de granit rose. Vendange égrappée pour une vinification à la bourguignonne. Huit mois d’élevage en fûts.

Au nez, on devine déjà l’élégance de la matière. Les fruits noirs (cerise confite) dominent avec des notes fumées. La bouche, retenue pour l’instant, laisse apparaître toute la minéralité du terroir granitique et sa texture délicate. On aime la profondeur du vin, son charme, sa sapidité et son côté sanguin. Il ne s’exprime pas encore totalement, quelques années de garde lui seront bénéfiques, mais déjà quel plaisir !

Côte-de-Brouilly

L’Héronde 2015

Vendanges le matin, à la fraîche, le 31 août avec des raisins titrant 14°5. Terroir de pierre bleue en bas de coteau. Parcelle de 0,40 ha. Vieilles vignes de gamay taillées en gobelet avec un tout petit pourcentage de chardonnay, historiquement autorisé. Petits rendements : 40 hl/ha comme pour la plupart des vignes du domaine.

La puissance du nez n’échappe à personne : réglisse, notes fumées et grillées. En bouche, l’alcool (millésime oblige) rend le vin presque atypique (plusieurs dégustateurs évoquent même des carignans du Roussillon et les VDN comme le Maury…). L’alcool donc, mais pas que… L’acidité vient l’équilibrer. Elle évite toute lourdeur à ce vin capiteux. On note la sucrosité, les tanins élégants en finale accompagnés par des notes de fruits cuits et de cacao. « Un sacré vin ! » s’exclame un dégustateur.

Les Blancs

Beaujolais Blanc

Terroir de Châtillon 2015

Chardonnays de 6 ans sur la parcelle des Éparcieux située derrière les bâtiments des Chasselay. Terroir argilocalcaire exposé plein sud et sud-ouest. Les grappes sont posées dans de petits contenants pour éviter l’écrasement et passent dans un pressoir mécanique, sans sulfites. Le jus est passé au froid et repose une nuit en cuve avant d’être débourbé. Il fermente en demi-muids, peut subir quelques bâtonnages suivant les millésimes. “Il faut éviter le durcissement” souligne Claire. La mise en bouteille se fait en avril ou mai.

Il faut laisser le perlant, gage de fraîcheur, s’échapper pour apprécier le nez complexe de raisins mûrs, de mirabelle, de pomme fripée, de coing, d’abricot et de rhubarbe. En bouche, le perlant permet de conserver une véritable fraîcheur à ce vin tonique et nature. Un beaujolais blanc gourmand et digeste.

Beaujolais Blanc

Terroir de Châtillon 2014

La complexité est au rendezvous avec des arômes de coing, d’amande et de zestes d’agrumes. Bouche équilibrée, saline, minérale, avec de l’ampleur et une finale sur l’amande grillée.

Beaujolais Blanc

2008

On trouve, au nez, le chèvrefeuille, les fruits secs grillés et le citron qui évoquent un bourgogne. En bouche, la matière est ciselée, intéressante malgré une pointe de soufre. L’ensemble reste frais, tendu et plaisant. Il s’améliore à l’aération.

Beaujolais blanc

Éparcieux 2015

Les vignes les plus âgées de la parcelle (entre 40 et 60 ans) font l’objet d’une autre cuvée vinifiée de la même façon que “Terroir de Châtillon”, mais avec plus de bâtonnages qui apportent du gras et un élevage en fûts (15 % de fûts neufs) pour une mise en bouteille en août.

On croise la poire, la mirabelle, les agrumes et le poivre blanc au nez. La bouche est précise et longue. Le dégustateur retrouve les zestes d’agrumes avec un beau jus issu d’une vendange mûre et une jolie acidité. Finale sur une amertume délicate de pamplemousse. Il s’agit d’un bébé-vin où le bois parle encore un peu trop, mais les perspectives sont réjouissantes : la matière s’imposera et le vin s’équilibrera dans quelque temps.

 

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