Portraits

Le réveil du Loir

Eric Nicolas dans son chai : l’homme-orchestre !
VAL DE LOIRE > JASNIÈRES & COTEAUX-DU-LOIR > DOMAINE DE BELLIVIÈRE

Le domaine de Bellivière tenait déjà le devant de la scène en 2005. « Éric Nicolas est l’un des vignerons qui a le plus fait pour la requalification des terroirs négligés de la vallée du Loir », écrivions-nous à l’époque (R&B n° 77). Onze années plus tard s’imposait un retour aux sources dans la Sarthe, à Lhomme, pour juger du travail accompli par ce couple singulier, en perpétuelle réflexion.

« J’aime le vin parce qu’il m’est étrange, parce qu’il m’est familier, parce qu’il est incompréhensible et fabuleux. J’aime le vin parce que je ne peux m’empêcher d’aimer les hommes. J’aime le vin que je bois, lorsqu’il mérite son nom. Dans ma cave, il n’y a pas de vin. Il n’y a que d’heureuses espérances. De troublantes expériences. » Jean-Claude Pirotte, Le silence

Chez Christine et Éric Nicolas, la viticulture n’est pas le seul sujet de conversation. La culture, sous toutes ses formes, y prend une importance capitale. Certes, la décoration de leur cuisine fait la part belle à quelques flacons vides, souvenirs de moments délicieux, mais la salle de séjour et les autres pièces sont envahies par les livres. Christine montre de l’éclectisme dans ses lectures, tandis que son mari préfère la poésie. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’une de leurs cuvées s’appelle Calligramme ni sans doute une coïncidence si une autre est intitulée L’Effraie, un rapace qui fait une apparition dans Alcool, un autre recueil de poésies d’Apollinaire :

« Le rossignol aveugle essaya de chanter

Mais l’effraie ululant il trembla de rage »

Un long cheminement vers le vin

Vignoble du domaine Bellivière LeRouge&leBlanc

Christine, née Davin - un nom prédestiné - est originaire de Marseille. Elle effectue ses études à l’université du Havre et obtient une maîtrise en commerce international. De son côté, Eric, dont les racines sont picardes, après avoir obtenu un DUT en mesures physiques, suit une formation complémentaire en informatique industrielle… au Havre. Mais le vin, me direz-vous ? « Il n’y a pas eu de déclic, ce fut un long cheminement », m’explique Éric. D’abord à la table de Lucien, son grand-père maternel, instituteur de son état, trônaient souvent quelques flacons bourguignons, car il aimait la finesse du pinot noir. Plus tard, ce fut chez des amis havrais : un pomerol d’une belle étoffe, charmeur, interpela Éric, lequel débuta sa réflexion sur l’esthétique du vin. Ensuite vint la rencontre avec Alain Milan, un ami, “cuisinier méticuleux”. « J’ai alors pris conscience que le vin était indissociable de la table », se remémore-t-il. S’ensuit la lecture de revues et de livres œnologiques, notamment sur les techniques de vinification. Son dessein précis est de créer un domaine.

Technicien pendant quatre ans chez Total au Havre, il est encouragé par Christine à suivre des études œnologiques. À l’issue d’un congé de formation, il obtient, en 1991, un diplôme national d’œnologie (DNO) à Montpellier. Différents stages le conduisent, entre autres, à Bandol, au domaine Pibarnon, où il adopte deux principes : la technique des vendanges en caisses pour respecter l’intégrité des raisins et l’élaboration d’un seul vin issu de toutes les vignes. Lors d’un stage dans un laboratoire de Rasteau, il analyse l’impact de l’âge des vignes sur la concentration des vins, laquelle restera longtemps, avoue-t-il, une de ses obsessions.

Sandrine Pairel, une collègue du DNO, sarthoise d’origine, aiguille le couple Nicolas vers le vignoble de la Sarthe. Après une première expérience malheureuse (une promesse non tenue), les néo-vignerons peuvent enfin s’installer, grâce au maire de Lhomme, et surtout à Huguette et Louis Derré, locataires de la ferme de Bellivière. En septembre 1995, ils achètent cette ferme et louent 3,5 ha de vignes. 1995 est donc leur première récolte, avec Sandrine Pairel dans un premier temps : 6 000 bouteilles de coteaux-du-loir vendues à leurs premiers clients, les Caves Legrand à Paris et l’hôtel-restaurant Anne de Bretagne à La Plaine-sur-Mer. Mais, c’est insuffisant pour en vivre.

Heureusement, Christine a créé à Château-du-Loir sa petite entreprise, un centre de formation, qui fonctionnera pendant dix ans, jusqu’en 2004. « Éric a pu ainsi aller au bout de ce qu’il recherchait : la qualité », souligne-t-elle. « Nous avons eu le nez dans le guidon, avec une forme d’insouciance, voire d’inconscience, ce qui nous a permis de ne jamais avoir de regrets. Et voilà vingt ans que nous sommes optimistes ! », ajoute son époux…, malgré trois millésimes désastreux - 2012, 2013 et 2014 - qui ont ébranlé les finances de la propriété. Aujourd’hui, leur domaine compte 16 ha, répartis en soixante-dix parcelles. Clément, l’aîné des trois enfants du couple, rêvait d’être vigneron depuis l’âge de douze ans ; il a rejoint l’entreprise en décembre 2015, après l’obtention d’un master à l’institut universitaire de la vigne et du vin à Dijon et un stage de six mois chez François Chidaine (R&B n° 101).

Le domaine Bellivière en bref

  • Appellations : Coteaux-du-Loir et Jasnières.
  • Superficie : 7 ha en Jasnières (Ruillé-sur-Loir et Lhomme), 9 ha en Coteaux-du-Loir (Chahaignes, Marçon et Dissay-sous-Courcillon), répartis en blanc (5 ha de chenin) et le reste en rouge (majoritairement en pineau d’Aunis, avec un peu de gamay (noir à jus blanc, de Bouze et Fréaux), de côt, de cabernet franc). 4 ha restent à planter.
  • Propriétaires de 10 ha, fermage pour 4 ha et métayage (quart et demi-fruit) pour 2 ha.
  • Mode de culture : certifié bio en 2005 et biodynamique en 2008 (Écocert).
  • Âge des vignes : en moyenne 20 ans pour les jeunes vignes et 80 ans pour les vieilles vignes. Plus vieilles vignes (chenin) plantées en 1904 et 1921.
  • Altitude : 65 à 105 m.
  • Densité de plantation : entre 6 500 et 13 000 pieds/ha, avec un compromis trouvé à 11 200 pieds/ha (1,30 m x 0,70).
  • Taille : gobelet-Poussard palissé et royat-Poussard.
  • Production : 65 000 bouteilles en 2015 (soit 35 hl/ha, un record !).
  • Commercialisation : Export (45 %), cavistes/ restaurateurs (35 %), particuliers (25 %).

Un vignoble éparpillé

Perdue dans la nature, la ferme de Bellivière et son chai ultramoderne Patrick Faccioli

Les vignes sont disséminées dans deux appellations et cinq villages (voir carte). 18 kilomètres à vol d’oiseau séparent ses deux parcelles les plus excentrées. Mais, en aucune façon, le vigneron ne cherche à les regrouper ni à procéder à des échanges : « Depuis nos débuts, certaines cuvées, Vieilles Vignes Éparses en Coteaux-du-Loir par exemple, ont été assemblées avec les raisins issus de nos plus vieilles parcelles de l’appellation. Cette cuvée, comme les autres, a été élaborée au fur et à mesure de nos acquisitions, comme un bâtiment que l’on construit pierre après pierre. Si l’on enlève une pierre à l’édifice, tout s’écroule ! » Le vignoble sarthois, plus spécialement l’appellation Jasnières, protégé de l’influence nord-ouest (pluies notamment) par les 5 500 ha de l’une des plus belles futaies de France, la forêt de Bercé, bénéficie d’un climat particulier. Quant aux vignes d’Éric, exposées au sud, elles sont particulièrement bien soignées.

Rien n’est laissé au hasard par ce perfectionniste, à commencer par les nouveaux plants – le matériel végétal, selon l’affreuse expression communément admise. Ils sont fournis par Lilian Bérillon (R&B n° 114). Ainsi, concernant les porte-greffes, Éric et Lilian ont longtemps hésité entre 3309 et Riparia Gloire, avant d’opter finalement pour ce dernier, moins plongeant certes, mais un peu plus fragile. Éric a beaucoup réfléchi à propos de l’enracinement ; avec son pépiniériste, il aimerait “ausculter” ses sols, tout en les sachant géologiquement hétérogènes (voir encadré). Il envisage également de faire appel aux Pépinières Hébinger, situées en Alsace, qui ont mis au point une nouvelle greffe ; cette dernière, en double fente, permet d’agrandir la surface de contact entre le greffon et le porte-greffe, et d’obtenir ainsi une meilleure qualité de soudure. Un de ses prochains défis consistera à planter des pépins, à partir des grains de raisin issus de ses vignes franches de pied (30 ares de chenin, et idem en pineau d’Aunis plantés en 2005).

La taille est, elle aussi, une étape mûrement réfléchie. Avec pondération, il se dévoile : « C’est Louis Derré qui m’a appris à tailler… La taille est un moment qui requiert une fluidité du geste. Cela rejoint les flux de sève, cela rejoint la pureté du vin, c’est un tout. Elle doit être organisée. » Ainsi, toute l’équipe (Dominique Savattier, ouvrier polyvalent à temps complet au domaine, deux saisonniers ainsi qu’Éric et Clément) suit une formation à la taille auprès de Marceau Bourdarias, élagueur et conseiller en viticulture, au cours de laquelle ils apprennent à contrecarrer les maladies du bois en supprimant les zones de compression. Clément a, en outre, été stagiaire durant trois mois chez François Dal, François Dal, avec l’aide d’Édouard Bricaud, a mis au point une nouvelle technique de taille qui permet d’optimiser les flux de sève. (Voir R&B 126 et notre cahier technique). Depuis l’an dernier, la taille est repensée en fonction du potentiel de production et de la pérennité du végétal. En outre, les rangs taillés sont répertoriés au fur et à mesure, permettant ainsi une autocritique l’année suivante. « Dès cette première étape, nous sommes dans le soin. Si tu n’as pas intégré cette notion-là, tu ne possèdes pas ce lien qui t’unit à la vigne, ce ressenti avec le végétal qui te procure un plaisir immense », souligne Éric avec un sourire ému.

Il s’interroge également sur la question du palissage : « Il faut trouver une méthode de palissage pour faciliter l’aération, car notre végétal est trop serré ; il faut redonner à la vigne sa liberté et lui apporter une meilleure pénétration de la lumière. C’est pourquoi nous avons adopté le gobelet qui permet une exposition plus favorable des grappes. »

Les travaux des sols sont relativement sommaires : chaussage en hiver et déchaussage au printemps, griffage avec tracteur-enjambeur, broyage avec girobroyeur avant les vendanges, travail sur le rang à l’inter-ceps, par fendage, sans utilisation d’outils rotatifs afin de ne pas détruire la faune. Pour compenser un manque de vigueur de la vigne, certaines parcelles reçoivent du compost d’origine animale. L’enherbement est spontané ; ainsi, les différentes plantes permettent à Eric, observateur attentif, d’être renseigné sur les carences et les excès de ses sols, selon la méthode de Gérard Ducerf  (R&B n° 113). Jusqu’en 2012, les traitements étaient minimalistes et curatifs, mais en raison de ce millésime catastrophique, Éric, depuis 2013, pulvérise préventivement cinq à sept fois par an du soufre (mouillable et en poudre) et du cuivre, auxquels il adjoint des tisanes (ortie, prêle, pissenlit, osier).

Après huit ans de culture biodynamique, il reste très prudent, estimant « n’avoir pas assez de recul, et balbutier encore… » Néanmoins, les principes de cette méthode lui permettent de redonner vie à la terre et de remettre en ordre la chaîne alimentaire dans le sol. « Outre l’utilisation des préparats biodynamiques, la biodynamie nous a permis d’exacerber notre sens de l’observation sur le vignoble et on travaille vraiment en accord avec les rythmes naturels à l’aide du calendrier de Maria Thun. On sent nos terres plus vivantes. », souligne-t-il. Les vendanges nécessitent trente cueilleurs et cinq personnes en cave. Elles s’étalent sur trois semaines en moyenne.

Des caves troglodytes au chai moderne

Le tout nouveau chai et son glorieux ancien se font face. Patrick Faccioli

Le domaine dispose de cinq caves creusées dans le tuffeau, dont quatre destinées au vieillissement des blancs. En 2004, l’achat d’un pressoir pneumatique a permis d’accroître la qualité des vins, notamment les blancs. Depuis les vendanges de 2015, un chai moderne (voir schéma) est opérationnel. Il est destiné au soutirage et à l’affinage des vins avant les nouvelles vendanges, ainsi qu’au stockage et aux expéditions. La question du soufre taraude Éric : « Il faut encore beaucoup progresser ; c’est la construction de l’acidité qui permettra une meilleure gestion du soufre. » Dans les bons millésimes, l’équivalent de 20 à 30 mg/l est ajouté au moment de l’écoulement des jus sous le pressoir, 50 mg/l pour les années compliquées, plus 20 à 30 mg/l à la mise, ce qui donne 70 mg/l de soufre total au maximum. Il n’assemble jamais les vins issus des jeunes vignes avec ceux provenant des vieilles vignes. Les fermentations - alcooliques et malo-lactiques – se déroulent en fûts. Au dire de son épouse, Éric « n’est pas un fan des analyses » ; il fonctionne à l’instinct et en goûtant. « C’est la viticulture dans son ensemble qui est mon moteur d’inspiration. Je fais appel à la sensibilité bourguignonne pour vinifier le pineau d’Aunis. Dans les millésimes chauds, je me renseigne auprès des vignerons sudistes. En revanche, fidèle à la tradition locale, je vinifie mes blancs en fûts. » Il achète ses barriques (voir les précisions dans les commentaires), auprès d’Anne-Marie Jayer (Gers), et depuis 2015 à l’Atelier Centre France (Cher). En général, il recherche des chauffes douces/moyennes et lentes. Il projette de s’équiper d’amphores à enfouir pour les rouges. Les étapes finales - participation à la mise en bouteilles, étiquetage, expéditions – sont à la charge de Christine, autre cheville ouvrière et consciencieuse du domaine, qui gère également les ventes.

Les leçons de la dégustation

Schéma du nouveau chai LeRouge&leBlanc

Il faut toujours avoir à l’esprit que les cuvées du domaine sont élaborées pour le repas. Précisons également que les vignerons n’ont pas hésité à présenter des millésimes difficiles, comme 2001, 2012 ou 2013 par exemple. Mais Éric joue, avec sincérité et à tous les niveaux, la transparence la plus complète, n’éludant aucune question. À propos des blancs, les dégustateurs n’ont pas manqué de comparer les cuvées Vieilles Vignes Éparses, de l’appellation Coteaux-du-Loir, et Calligramme, située à Jasnières. Cette dernière serait plus soyeuse, plus charnelle que la première pour une partie des dégustateurs, et le contraire pour quelques autres. On peut en effet préférer la régularité, la plénitude et une certaine immédiateté de Calligramme, tout au moins pour les cuvées présentées. La cuvée Vieilles Vignes Eparses se livre plus difficilement. Moins séduisante de prime abord, elle peut révéler plus de personnalité, si l’on fait abstraction des millésimes difficiles. Très marquée par l’effet « millésime », et donc irrégulière, elle apparaît comme monacale ou janséniste pour certains, stricte et tout en retenue pour d’autres, ou encore rectiligne et incisive. « Beauté froide », selon une dégustatrice, elle se dépouille de ses lourdeurs vestimentaires au fil des ans et retrouve son fruit dans sa nudité originelle avec la pureté cristalline tant recherchée par son géniteur. C’est le cas du millésime 2002 qui a recueilli tous les superlatifs.

La dégustation des blancs moelleux et liquoreux a démontré, s’il en était besoin, l’énorme potentiel de la Loire dans ce domaine, à condition que le botrytis soit de la partie. Le comité a notamment souligné l’équilibre entre sucre et acidité, qui trouve son apogée dans la cuvée Philosophale. Les trois rouges dégustés, issus du pineau d’Aunis, illustrent les différences énormes selon les millésimes. Globalement, les vins du domaine de Bellivière ne sont jamais superficiels. Toujours profonds et “réfléchis”, ils doivent être apprivoisés. Il faut donc les attendre : ce sont en quelque sorte des vins de patience… Éric conclut : « Aujourd’hui, nous nous sentons les pieds dans notre terre. Cette région est à l’opposé de tout ce que l’on a connu. Il n’y a ni la mer ni la montagne, mais nous baignons dans cette douceur de vivre… » Tout est dit, les amis, mais vous prendrez bien un dernier vers pour la route : « Rentrons sous notre toit couvert de folles vignes ! ».

Ma feuille vineuse

Les Nicolas - ou plutôt les Bellivière, car leur patronyme se confond avec le nom du domaine - sont avant tout des gens bien. Ils sont d’abord infiniment reconnaissants envers celles et ceux qui les ont aidés, en particulier les époux Derré qui habitaient la ferme de Bellivière. Une cuvée leur rend d’ailleurs hommage. Clément, le fils aîné, “la tête sur les épaules et les pieds sur terre”, vient, à 24 ans, de rejoindre le domaine. Ses débuts sont prometteurs ; ses explications claires et précises ont impressionné les membres du R&B. Son père le conseille au mieux : « J’aimerais qu’il puisse intégrer tout ce que j’ai appris. J’espère avoir la sagesse, la patience et le temps de lui transmettre ma passion, mais aussi mon inspiration. » Toujours à propos de la transmission, il voit encore plus loin : « J’ai planté pour que mes petits-enfants puissent disposer de vignes aussi anciennes que celles que je cultive aujourd’hui ! » Quant à Christine, toujours enjouée, elle assure et rassure ; de plus, elle est omniprésente et pragmatique, surtout lorsque son mari reste trop longtemps dans le contemplatif. Des gens bien, vous dis-je !

Un peu de géologie

Le socle géologique sarthois correspond à la formation du dépôt marin de petits fossiles, base de la craie du tuffeau, qui s’inscrit dans le vaste ensemble calcaire du bassin Parisien (période du Crétacé, à l’ère secondaire, soit environ – 90 millions d’années). Des dégradations géologiques sont intervenues au tertiaire et au quaternaire. La cellule des terroirs viticoles de l’INRA d’Angers a effectué une étude en 2006 pour les deux appellations sarthoises : 17 unités de terroir ont été définies et délimitées en zones cartographiées. Ces unités, d’époques différentes et de nature très diverse, influencent, selon leur composition, les vins : les « argiles sur sables verts et micacés » apporteront finesse et élégance, a contrario les « faciès argileux à conglomérats » produiront des effets de lourdeur et de massivité. À noter que dans la cuvée Calligramme, on ne dénombre pas moins de neuf unités de terroir !

Quelques bonnes adresses de Christine et d’Éric Nicolas

  • Chez Miton, place de l’Église, 72340 Chahaignes, Tél. : 02 43 44 62 62. Le chef Naoko propose une cuisine traditionnelle aux parfums d’Asie. Courte carte des vins (Bellivière  et vins locaux notamment). Prix très corrects. À noter également un gîte disposant de trois chambres.
  • Les Mères Cocottes, 9 rue Alexis de Tocqueville, 72340 Beaumont-sur-Dême, Tél. : 02 43 46 80 52. Cuisine familiale à la fois simple et raffinée. Produits de saison et du terroir. Cadre champêtre. Carte des vins succincte, mais intéressante. Accueil chaleureux. Épicerie.
  • Hôtel de France, place de la République, 72340 La Chartre-sur-le-Loir, Tél. : 02 43 44 40 16, hoteldefrance@worldonline.fr. L’établissement tenu par des Anglais accueille depuis de nombreuses années les écuries anglaises qui participent aux 24 heures du Mans. Chambres très confortables et cossues. Atmosphère douillette très anglo-saxonne.
  • Le Grand Moulin, gîte/chambre et table d’hôte, 8 rue de Syke, 72340 La Chartre-sur-le-Loir, Tél. : 06 85 56 30 45. Depuis 2008, Marie-Danièle Millet propose cinq chambres, ainsi qu’une suite familiale, décorées avec goût. Tarifs corrects et dégressifs. Repas pour groupes, avec des spécialités locales, sur réservation. Ouvert toute l’année.

La dégustation

La dégustation s’est déroulée en deux temps dans nos locaux parisiens. Une première séance, à la fin du mois de mars, en présence des époux Nicolas et de leur fils, a été consacrée aux cuvées Vieilles Vignes Éparses et Calligramme ainsi qu’au vin de paille. La seconde, à la fin du mois d’avril, sans leur présence, a eu pour objet les rouges ainsi que les « spécialités » du domaine. Les précisions en italique ont été apportées par les vignerons.

Coteaux-du-Loir Blanc

Vieilles Vignes Éparses

(vin sec sauf mention contraire)

Au départ 1 ha, puis adjonction d’une parcelle de 1 ha en 2002, pour un total de 5 parcelles. Âge des vignes supérieur à 80 ans. Globalement il s’agit de terroirs très pierreux.

2001

Annus horribilis. 200 mm de pluie avant de pouvoir ramasser. Vendanges du 10 octobre au 20 novembre. Tris sévères : 50 % de perte. Élevage d’un an en fûts d’occasion (225 l).

Robe ambrée. Nez évolué, voire un peu fatigué (champignons) à l’aromatique compliquée mais présente (abricot, coing, miel, curcuma). Bouche oxydée, encore tendue, mais dissociée où se mêlent alternativement une pointe de sécheresse et des touches d’amertume (pissenlit). Vin quasi éteint, mais qui clignote encore.

2002

Très belle année. Belle maturité des raisins. Vendanges du 7 au 30 octobre, à l’issue d’un mois de septembre très ensoleillé. 3,5 g/l de sucre résiduel. Élevage d’un an en fûts d’occasion (225 l).

Une superbe aromatique complexe : du fruit (mirabelle, abricot, coing, rhubarbe), des notes fumées et une touche beurrée. Une remarquable structure mûre et très équilibrée. Magnifique matière à la finale étirée. Vin tendu et salin, qui est loin d’avoir dit son dernier mot. Émouvant. Avec des coquilles Saint-Jacques aux agrumes.

2004

Belle année avec une récolte intéressante (entre 15 et 20 hl/ha). On pense que la canicule de 2003 a obligé la vigne à s’enraciner davantage. Vendanges du 6 octobre au 3 novembre. Élevage de 18 mois en fûts d’occasion (225 l).

Olfactivement délicat avec des notes originales de racine, de gentiane et en arrière-plan des touches florales (rose), épicées (poivre blanc) et iodées. La bouche, au départ timide, devient nerveuse, puis s’arrondit. Elle dégage une jolie complexité et s’accompagne d’une tension lumineuse. Un vin énergique et sapide.

2006

Années et vendanges compliquées (orages). Beaucoup de tris. Les raisins avaient une peau très fine et “basculaient” rapidement. 7 g/l de sucre résiduel. Vendanges du 30 septembre au 17 octobre. Élevage de 18 mois en fûts d’occasion (225 l).

Notes élégantes de thé derrière un joli floral printanier et une pointe d’agrumes et de gentiane. La bouche avenante, sensuelle et gourmande, est bien tenue par une acidité de bon aloi et un léger gaz. Finale persistante et saline, accompagnée d’un soupçon de sucre. « Une réussite », s’exclame un dégustateur sous le charme. Vin sphérique qui appelle la table (foie gras).

2007

Magnum Vendanges plus précoces (du 1er au 14 octobre) pour rechercher plus de tension et donner au vin une nouvelle orientation aromatique (arômes floraux). Élevage de 18 mois en fûts d’occasion (225 l), début des essais en fûts neufs de 500 l (environ 10 %).

Nez “lorrain” de mirabelles cuites, suivies d’une touche camphrée et des notes de violette. Bouche plus pointue, stricte et droite. « Une belle danseuse classique sur les pointes ! », évoque une dégustatrice. Vin vibrant, d’un très bel équilibre.

2008

Millésime assez frais. Première année en biodynamie. Vendanges du 2 au 22 octobre. Début du bois neuf : élevage de 18 mois avec 15 % de fûts neufs.

Nez très expressif et terrien (truffe blanche), fruité (coing, rhubarbe, mangue), avec une touche de rhum. La bouche, cristalline, tout en précision, est bien équilibrée entre une richesse gustative et une tension minérale. Belle texture, d’une austérité séduisante, accentuée par une fine amertume. Un vin de gastronomie, superbe et salivant. Sur un poisson de rivière au beurre blanc.

2009

Millésime solaire. Belles vendanges du 1er au 29 octobre. 4 g/l de sucre résiduel. Élevage de 18 mois avec 15 % de fûts neufs.

Arômes fruités (poire), miellés et épicés, accompagnés d’une discrète pointe de gentiane. Bouche horizontale et séveuse, d’une belle précision et d’une pureté virginale. Finale saline sur le pamplemousse rose. « Un vin qui donne faim », note un dégustateur. Vin élégant, encore sur la réserve.

2010

Millésime tout en retenue. Petites quantités. Aucun traitement dans les vignes. Maturités et vendanges précoces (du 24 septembre au 13 octobre). 7 g/l de sucre résiduel. Élevage de 18 mois avec 30 % de fûts neufs.

Nez d’une extrême pureté, qui se complexifie à l’aération (truffe blanche, ananas, agrumes et gentiane). Superbe qualité des raisins qui apporte une densité et une amplitude. Bouche large, charnue et sensuelle, avec des courbes harmonieuses. « On est plutôt dans un tableau de Renoir », souligne l’une d’entre nous. Un vin précis, salin et apaisé. Avec de la chair d’araignée.

2011

Millésime fragile en raison d’un épisode pluvieux en fin d’été. Vendanges du 12 au 28 septembre (les plus précoces du domaine). Élevage de 18 mois avec 15 % de fûts neufs.

Notes mentholées avec une légère touche boisée, qui souligne l’aromatique (abricot, raisins de Corinthe) sans l’envahir. Bouche verticale, tendue et serrée, un peu moins précise qu’en 2010. Finale sur des zestes d’agrumes. Vin agréable, pas encore totalement en place.

2012

Année catastrophique. Invasions de mildiou : 5 jours de vendanges, du 12 au 19 octobre, dans des conditions difficiles : 20 % de récolte. Légère chaptalisation. Élevage de 17 mois avec 50 % de fûts neufs.

Nez sur une oxydo-réduction. Notes de coing et de pomme cuite. Bouche moins complexe, qui paraît un peu diluée pour certains, plaisante et fraîche pour d’autres. Finale iodée sur les champignons. Vin qui reste agréable, surtout au cours d’un repas. Avec des palourdes.

2013

Millésime tardif et de maturité assez faible. Conditions de maturité compliquées. Vendanges  du 9 au 31 octobre. Un peu de chaptalisation (0,5 °). Élevage de 16 mois avec 25 % de fûts neufs.

Nez pur de fruits blancs et jaunes (poire, mirabelle, coing), avec des notes de cire, de miel et d’acacia. Tension palpable. Un équilibre dynamique grâce à une acidité éclatante et une matière élégante. « La classe ! », souligne un dégustateur. « Très représentatif du style du domaine », ajoute un autre. Un vin appétant, rectiligne et minéral. 

2003

Demi-sec

Gel le 10 avril qui a anéanti 50 % de la récolte. Annéecharnière à propos du changement climatique : il y a un basculement palpable. Vendanges du 17 septembre au 1er octobre. Raisins passerillés. 42 g/l de sucre résiduel. Premier essai d’élevage sur 18 mois.

Une cuvée qui a divisé le comité. Pour les uns, le nez est peu expressif, et la bouche acidulée et légèrement amère. Pour les autres, le nez est harmonieux (orange, bergamote) et la bouche mielleuse, longue et originale. Tous s’accordent pour le qualifier d’énergique.

2005

Moelleux Raisins botrytisés.

20 g/l de sucre résiduel. Vendanges du 29 septembre au 26 octobre. Élevage de 18 mois avec 15 % de fûts neufs.

Arômes de café et de nougat, avec une pointe résineuse. Bouche fraîche, saline et dynamique. Beaucoup d’originalité. « Un vin qui swingue ! », indique un dégustateur. Sensation de sucrosité très peu présente. Un vin équilibré et pur, taillé pour la table. Sur une volaille rôtie.

Coteaux-du-Loir Rouge

Hommage à Louis Derré Vignes

Centenaires de pineau d’Aunis. 1 ha réparti sur 8 parcelles.

2009

Millésime solaire. Élevage de 18 mois en fûts de plusieurs vins.

Nez inhabituel pour ce cépage. Des notes de fleurs fanées enrobées par des arômes de graphite, d’eau de vie (prunelle, quetsche) et de téquila. Matière riche, charnue et hors norme dans une structure serrée. « Une des facettes de ce cépage que je ne connaissais pas », conclut un dégustateur. Très grande longueur fruitée (figue fraîche et sèche) avec des touches de mezcal. Un vin atypique, encore très jeune. Pour la table avec un pigeon rôti.

2010

Millésime tout en retenue. Petite quantité (11 hl/ha). Élevage de 18 mois fûts de plusieurs vins.

Nez apaisé et pur (petits fruits rouges, prunelle et une pointe fuligineuse), avec une légère touche végétale mais aussi des “senteurs argileuses”. Bouche délicate, charnue et saline avec de l’éclat et de la longueur. Une grande persistance aromatique sur des touches épicées et kirschées. Encore un très beau vin de repas. Avec un tajine d’agneau.

2013

Millésime tardif et de plus faible maturité. Élevage de 12 mois en fûts de plusieurs vins.

« Quel nez ! » s’exclame un dégustateur. Magnifiquement complexe et envoûtant : poivre de Sichouan, rose et fleurs séchées, avec « un côté oriental » selon un autre membre de l’équipe. Compte tenu du millésime, la bouche est moins riche, mais tendue, tranchante et salée pour les uns, avec des tanins délicatement duveteux pour d’autres. Bel équilibre. Vin vivace, encore juvénile. Avec des charcuteries.

Haut-Rasné

2007

Coteaux-du-Loir blanc moelleux. Jeunes vignes (11 ans) du mono-terroir (argile à silex) Haut-Rasné, d’une superficie de 50 ares. Raisins botrytisés. 61g/l de sucre résiduel. Élevage de 12 mois en fûts de plusieurs vins.

Des arômes de nougatine, de miel et de poire, accompagnés d’une pointe de truffe blanche. Une bouche équilibrée, un peu marquée par le sucre, mais avec un joli retour de l’acidité en finale. Un vin qui reste gourmand.

Philosophale

2010

Coteaux-du-Loir blanc moelleux. Vieilles vignes (plus de 80 ans) du mono-terroir Haut-Rasné, d’une superficie de 40 ares. Raisins botrytisés. 89 g/l de sucre résiduel. Élevage de 6 mois en fûts de plusieurs vins.

Robe vieil or. Nez d’une grande finesse. La complexité est au rendez-vous, qui marie des arômes fruités (coing, abricot, orange confite) à des notes de frangipane. Superbe équilibre entre le sucre et l’acidité qui donne une sensation de fraîcheur et d’élégance marquées. Jolie et surprenante tension saline en milieu de bouche. Rétrolfaction salivante sur la fleur d’oranger. « Un breuvage difficile à cracher ! », conclut l’un d’entre nous. « Un vin d’une colossale finesse », rétorque un autre. À tenter sur un rôti de veau.

Jasnières

Calligramme

1 ha (9 parcelles) de vieilles vignes de plus de 70 ans. Cuvée la plus complexe, géologiquement parlant, avec notamment des terroirs du secondaire très argileux et des argiles mélangées à des sables micacés.

2004

9 g/l de sucre résiduel. Vendanges du 6 octobre au 3 novembre. Élevage de 18 mois en fûts de plusieurs vins.

Arômes terpéniques, suivis d’une pointe de melon et de gentiane. Un toucher de bouche moins soyeux et moins charnu pour certains, une belle élégance et une salinité intense en arrière-plan pour d’autres : cette cuvée divise le jury. La plupart des dégustateurs soulignent un bel équilibre dynamique et une richesse complexe.

2009

Deux phases de vendanges : les 8 et 9 octobre et le 16 octobre. 10 g/l de sucre résiduel. Élevage de 18 mois en fûts de plusieurs vins avec 15 % de bois neuf.

Des notes de cire et d’agrumes avec une pointe florale. Bouche nette, ciselée et savoureuse. Superbe finale fruitée. Très beau vin frais et lumineux, à attendre quelques décennies.

2010

5 g/l de sucre résiduel. Vendanges du 24 septembre au 13 octobre. Élevage de 18 mois en fûts de plusieurs vins avec 10 % de bois neuf.

Nez élégant et floral (violette), avec un peu de réduction sur la truffe blanche et une sensation de macération de peaux (zestes de citron). Bouche à l’unisson, tendue et précise. Grande longueur saline. « Tactilement italien », remarque un dégustateur. Un vin remarquable d’un équilibre parfait. Avec des coquilles Saint-Jacques.

2013

Vendanges du 9 au 31 octobre. Élevage de 16 mois en fûts de plusieurs vins avec 20 % de bois neuf.

Nez puissant et complexe, sur des notes fumées, presque tourbées, mais aussi florales (fleur de raisin) et fruitées. Quelques notes oxydatives du style Xérés agrémentent une bouche très droite, tendue, stricte, presque violente. Vin dynamique et raffiné, doté d’une forte personnalité.

Élixir de Tuf

2005

Jasnières liquoreux. Raisins botrytisés et passerillés. 238 g/l de sucre résiduel. Élevage de 6 mois dans un seul fût de plusieurs vins.

Nez d’abricot confit et d’écorce d’orange avec une acidité volatile marquée. Cette dernière équilibre la sucrosité impressionnante de cette cuvée. Bouche puissante, un peu saturante en l’état. Vin sans doute beaucoup trop jeune. « À revoir dans vingt ans », souligne un dégustateur.

Aurore d’Automne

2005

Vin spécial de pineau d’Aunis. Liquoreux de botrytis et de passerillage. 202 g/l de sucre résiduel. Élevage de 12 mois en fûts de plusieurs vins.

Nez surprenant et original (thé, fleur fanée, fraise des bois, abricot, figue, noisette, pain d’épice). Bouche étonnante, puissamment épicée et framboisée. Délicieux ! Le vin évolue en permanence dans le verre. « C’est comme un rêve exaucé », proclame un dégustateur. Un nectar dans sa plénitude. Absolument remarquable. Avec un foie gras aux épices.

Vin de paille

(encore en fût)

Pineau d’Aunis. Assemblage des millésimes 1999, 2000 et 2002. Grappes mises à sécher d’octobre à mars. Au moment du pressurage (dans un pressoir à cidre), elles étaient incroyablement pourries et présentaient des moisissures issues d’une palette de bleus et de jaunes.

Énorme complexité olfactive à la fois sur les fruits frais (fraise, cerise) et macérés (figue, pruneau), mais également sur les alcools distillés (whisky, rhum) et la cire d’abeille. Une dégustatrice évoque la liqueur de noix. Quelques notes fumées parsèment l’ensemble. Bouche suave et langoureuse malgré une acidité importante et bienvenue. « À ne jamais recracher », précise un dégustateur. Vin original, curieux, unique, “presque hors de l’univers du vin”.

 

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