Vinification

Une journée avec… Christian Brault

Le funambule de l’embouteillage
Christian Brault photo Rémi Lorenzi
Le funambule de l’embouteillage

Extraits de l’article paru dans le numéro 134

La mise en bouteilles est une étape cruciale de la vie d’un vin. C’est à ce moment précis qu’il est manipulé pour devenir un produit de consommation. Cette phase délicate et très technique demande un vrai savoir-faire, car elle présente des risques de contamination et a une influence primordiale sur la qualité du vin. Une mauvaise mise en bouteilles peut ruiner tous les efforts menés pendant une ou plusieurs années. En outre, elle nécessite un matériel spécifique assez coûteux pour une utilisation très ponctuelle. On comprend donc que les domaines fassent appel à un prestataire de confiance. Quand nous abordons ce sujet avec les vignerons, le nom d’un opérateur ligérien, Christian Brault, revient souvent, y compris dans des régions où il n’intervient pas. Dans les discours, il apparaît comme un éminent spécialiste, à l’écoute des producteurs, capable de les guider dans les moments de doute. LeRouge&leBlanc a donc souhaité le rencontrer pour échanger avec lui sur l’art de l’embouteillage sur mesure.

Nous avons accueilli Christian Brault à Angers dans une ambiance caniculaire autour d’un Noëls de Montbenault 2013 de Richard Leroy qui, outre son énergie et sa mâche minérale, n’a pas manqué de nous rafraîchir. Cette cuvée a, bien évidemment, été embouteillée par ses soins.

R&B Pourquoi avez-vous choisi de travailler dans le monde du vin ?

Ce monde ne s’est pas imposé immédiatement à moi. Ma famille avait un peu de vignes, mais je ne buvais pas de vin, ce n’est donc pas lui qui m’a amené aux études ! J’ai vécu une scolarité assez laborieuse jusqu’au BEPC où mes parents se sont sérieusement demandé ce qu’ils allaient bien pouvoir faire de moi. Mon grand frère ayant fait une école d’agriculture, ils n’ont pas cherché plus loin et m’ont envoyé en internat au lycée agricole de Montreuil-Bellay. J’ai opté, un peu par défaut, pour la formation de technicien viti-oeno. C’était vraiment sympa, j’ai découvert l’état d’esprit viticole au cours de moments un peu hippies. En fin de journée, nous faisions les mises en bouteilles de la production du lycée avec une petite tireuse à quatre becs qui n’arrêtaient pas de se désamorcer. C’était vraiment de bonnes années.

R&B Aviez-vous suivi une formation d’embouteilleur au lycée de Montreuil-Bellay ?

Non pas du tout, il n’existe pas véritablement de formation. C’est probablement mieux ainsi d’ailleurs. La mise en bouteilles s’apprend sur le terrain. C’est lors de mon premier boulot que j’ai commencé à filtrer des vins, je ne savais pas vraiment comment procéder. C’était en 1976, dans un chai collectif à Civray-de-Touraine, où il y avait 100 000 hl de cuverie. Cette année-là, nous avions rentré 80 000 hl de moût, ça fermentait de partout, les cuves étaient de véritables chaudières. Nous faisions de la centrifugation, filtration, clarification. Au bout de deux ans, je me suis lassé. Après diverses expériences professionnelles dans la vente de produits en tout genre, au cours desquelles j’ai observé l’horreur des techniques de démarchage, j’ai songé à changer radicalement de voie. Je ne voyais aucune issue possible.

R&B Comment êtes-vous alors devenu embouteilleur ?

Le fait du hasard des rencontres, comme toujours… Un copain de promo m'a annoncé que le Château de Montreuil-Bellay recherchait un responsable en viticulture. Monsieur de Thuy, son propriétaire, m’a rencontré et, humainement parlant, ça s’est très bien passé. Sauf que, sans expérience dans ce domaine, je ne me sentais pas légitime, il y avait quand même 15 ha de vignes. J’ai donc refusé le poste. Un mois plus tard, ce même Monsieur de Thuy me rappelle pour m’annoncer qu’un de leurs prestataires de service, Alain Plichon, était sur le point d’arrêter son activité. Dès lors, je réalise que je pourrais ainsi entreprendre des choses à ma guise sans dépendre de personne. Ça m’a pris quinze jours de réflexion et je me suis lancé, nous étions en 1983 et je fais toujours la même chose aujourd’hui.

R&B La transition n’a-t-elle pas été trop difficile à assurer ?

J’ai suivi une semaine de formation en filtration aux côtés d’Alain Plichon. Par chance, il était œnologue de formation et extrêmement rigoureux dans son travail. Il a tout de suite mis la barre très haut et il ne fallait surtout pas le décevoir ! C’était artisanal mais propre et très pro, l’hygiène du matériel était irréprochable. Ses filtrations étaient très bien menées et il m’a inculqué les bases en très peu de temps. J’ai repris sa clientèle qui comptait des noms importants comme le Domaine du Closel à Savennières ou encore le Château de la Grille à Chinon. J’ai vécu un plein épanouissement professionnel, je travaillais le week-end et ne comptais plus les heures.

R&B Comment l’activité a-t-elle évolué dans la région ?

La demande était déjà importante. Il faut se souvenir que dans les années 1980-1990, nous avons connu une montée en puissance des vins de Loire, particulièrement à Saumur-Champigny. Certains de mes clients sont passés de cinq mille bouteilles à embouteiller à cent mille en peu de temps ! Et les années 1989 et 1990 ont été charnières avec deux millésimes exceptionnels où l’on a constaté qu’on pouvait faire de très beaux vins sans chaptalisation. Il y avait le volume avec les degrés. Ça a été un déclic pour beaucoup de vignerons, on a raisonné davantage sur la maturité du raisin. Face à ce succès, je me suis décidé à embaucher un premier collaborateur en 1990, car, en réalité, je voyais que je ne pouvais plus y arriver seul et il fallait bien fournir tout le monde, je n’allais pas exclure des clients. Le week-end, je me collais à l’entretien du matériel, mais mon travail n’étant pas suffisamment satisfaisant, j’ai préféré prendre une deuxième personne pour monter un atelier d’entretien. Aujourd’hui, il y a dix personnes qui travaillent avec moi, une équipe à la production sur trois camions et une unité mobile, une équipe qui s’occupe de la préparation des vins avant la mise et une équipe d’entretien constituée d’un soudeur sur inox qualifié et d’un tuyauteur, c’est l’avantage d’être à proximité de la centrale nucléaire de Chinon.

R&B Était-il indispensable d’avoir monté votre propre atelier d’entretien ?

Évidemment. J’avais sous-traité un entretien de canalisation. Plus tard, lors du démontage, nous avons constaté que l’intérieur était complètement roché. Les cordons de soudure s’oxydaient car le tuyau n’avait pas été chambré. Cela formait de multiples croûtes qui sont autant de nids à complications. Nous ne pouvions évidemment pas rester dépendants d’un sous-traitant. Désormais, nous refaisons toutes nos canalisations nous-mêmes. Auparavant, quand l’hygiène n’était pas une priorité dans les domaines, les tuyaux étaient souvent sales extérieurement à leur sortie des caves. Quand nous les lavions, les gens se moquaient et nous disaient qu’on lavait l’eau. Aujourd’hui, ce nettoyage ne serait plus indispensable, mais nous en avons conservé l’habitude. Chez un client, un jour, une durite a pété sur son chariot-élévateur, de l’huile s’est répandue au sol, nos tuyaux baignaient dedans et ils sont stockés dans le camion, dans la cellule d’embouteillage. Vous imaginez l’odeur qui aurait imprégné le caisson contenant tout le matériel à l’intérieur, si nous n’avions pas nettoyé les tuyaux. C’est un exemple-type de contamination. Si on n’est pas vigilant, ça peut aller très vite. L’hygiène du matériel est essentielle. C’est pareil avec les risques d’oxygénation, ce n’est pas la peine d’aller mettre une goutte d’azote liquide dans des bouteilles, méthode que je ne pratique d’ailleurs pas, si à côté de ça, le matériel laisse passer l’air. C’est du bon sens.

Retrouvez l'intégralité de l'article dans notre numéro 134

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