Vinification
Une journée avec… Pierre Sanchez et Xavier Couturier
Duo Œnologie, des œnologues au service du vin “sur mesure”Filmé par Jonathan Nossiter dans le documentaire Mondovino (sorti en 2003), Michel Rolland, dans sa voiture avec chauffeur, un massif radio-téléphone mobile à la main, prescrivant à ses interlocuteurs du monde entier « Micro-oxygénation ! Micro-oxygénation ! », voilà la caricature que le mot “œnologue” évoque à la plupart d’entre nous. Pourtant, en Alsace, région longtemps sous l’emprise des firmes œnologiques, un petit laboratoire, créé en 2008, occupe une belle place, sans recette toute faite ni posture intimidante mais avec beaucoup de sensibilité – signe que l’œnologie n’est pas une science aussi intransigeante que certains le croient. Le Rouge & Le Blanc est parti à la rencontre de Xavier Couturier et de Pierre Sanchez, fondateurs de Duo Œnologie, dans leurs nouvelles installations à Ostheim dans le Haut-Rhin. Le premier est œnologue diplômé, le second, titulaire d’un master en agroalimentaire et biologie. Après diverses expériences professionnelles dans la production et le conseil, leur chemin se croise, en 2005, au sein du laboratoire d’œnologie pour lequel ils travaillent. Quelques années plus tard, ils quittent ce laboratoire pour fonder leur propre structure.
R&B À vos débuts, vous étiez deux. Combien de personnes travaillent aujourd’hui dans votre laboratoire ?
Nous étions deux et nous avions l’intention de le rester pour travailler sans pression, en faisant ce que nous aimions. Nous ne pensions pas que nous serions sept et bientôt huit avec un stagiaire en alternance. Les nouveaux membres, souvent d’anciens stagiaires, que nous avons intégrés au fur et mesure, sont ceux qui nous ont vraiment donné envie de les garder. Nous avons donc créé des postes pour eux.
R&B Votre activité se limite-t-elle à l’Alsace ?
Non, nous avons également des clients dans d’autres régions comme l’Auvergne, car il n’y a pas de laboratoire d’œnologie là-bas. Mais aussi le Jura, la Savoie, la Loire, la Moselle, la Champagne, le sud de la France et des vignerons de régions excentrées avec lesquels nous avons le plaisir de travailler. Nous avons quelques clients en Allemagne et en Suisse.
R&B Quelles sont les raisons qui vous ont poussés à créer Duo Œnologie ?
Nous avions décidé de quitter le laboratoire d’œnologie qui nous employait et au sein duquel nous nous sommes rencontrés. Nous ne nous retrouvions pas dans le type de conseil pratiqué, en particulier les relations instaurées avec le vigneron. Il n’y avait pas d’accompagnement, les choses étaient imposées en faisant peur pour que les clients consomment de l’œnologie. Nous souhaitions au contraire, dans notre vision du conseil, être au service des producteurs, les écouter, respecter leur éthique et surtout ne rien imposer. Nous n’avons jamais incité à consommer des produits œnologiques. Ce n’est pas par volonté de nous opposer aux usages courants mais à la suite d’observations. Les résultats d’analyses nous montraient l’inutilité ou une mauvaise utilisation de ces produits. Cette méthode était cosmétique, voire contreproductive pour la qualité du vin. Cela nous faisait hurler intérieurement car, pour le vigneron, c’est de la marge en moins et de l’énergie gaspillée. Le “conseil” était devenu une liste de recettes et le vigneron avait perdu l’habitude de réfléchir par lui-même. Il n’y avait aucune stimulation intellectuelle sur les actions menées ni pourquoi elles étaient pratiquées. Le style du vigneron disparaissait alors que c’est la diversité qui nous intéresse. Le vin doit d’abord être élaboré par le producteur qui le porte et le vend.
R&B Comment travaillez-vous avec les vignerons ?
En étant peu interventionnistes et avec le moins d’intrants possible. Le premier travail que nous menons avec le vigneron concerne la réflexion sur les opérations effectuées en cave. Toutes les actions ont des conséquences. Redonner de l’importance à chaque geste : qu’il soit pratiqué correctement, au bon moment et réfléchi. Amener le vigneron à se détendre, à se mettre en position d’observer ses vins et à analyser sa propre pratique. Si l’on garde les anciens gestes interventionnistes sur les vins naturels, on risque d’arrêter une fermentation car les jus sont plus fragiles. Il faut trier les pratiques en fonction des objectifs. Beaucoup de personnes nous disent que nous sommes parfois davantage des psychologues que des conseillers œnologiques. Nous sommes là pour écouter, accompagner et aider le vigneron à élaborer ce qu’il souhaite en fonction du potentiel de son domaine. Mais également de ce qui se passe dans sa cave. Si par exemple un vin s’oriente vers l’oxydatif, nous lui présentons les options possibles et leurs conséquences, nous instaurons avec lui un processus de vinification qui doit être cohérent du début à la fin. C’est ensuite au vigneron de prendre la décision, d’aller au bout ou pas de ce type de vinification. Nous sommes constamment dans le dialogue avec le vigneron pour connaître ses goûts mais aussi sa capacité à porter et à expliquer à ses clients les vins qu’il élabore. Nous ne sommes pas là pour lui dire comment faire du vin orange parce que cela fonctionne commercialement. Est-ce que ce type de vin lui plaît ? Est-ce qu’il est prêt à le faire ? De même, est-ce qu’il est capable de supporter un vin qui est trouble ou oxydatif ? Nous ne pouvons pas faire prendre des risques à ceux qui ne pourraient pas les assumer ensuite. Il est nécessaire de connaître le vigneron, de savoir les vins qu’il aimerait défendre. Des vignerons qui élaborent du vin avec leur personnalité, qui le portent, cela a plus de sens humainement, et certainement davantage d’efficacité commerciale, que si tout le monde fait la même chose. L’émancipation du vigneron, c’est génial !
R&B Comment vous êtes-vous intéressés aux vins “nature” ?
À nos débuts, deux vignerons alsaciens de premier plan, Patrick Meyer et André Ostertag nous ont influencés intellectuellement. Ils nous ont appris à observer leurs vins sans sulfites tout en nous expliquant leurs problématiques. Par exemple, comment une piqûre lactique pouvait améliorer certains muscats car ils gagnaient en acidité. Ce résultat est complétement contre-intuitif œnologiquement selon les connaissances traditionnelles.